Sep - 6 - 2014

Au moment d’écrire cette éditoriale, la troisième grève générale contre le gouvernement est en train de se dérouler. La grève a été très suivie. La grande majorité n’est pas allée travailler. Il y a des bus, mais ils circulent vides. La trahison du syndicat des chauffeurs de bus (qui n’a pas appelé à la grève), n’a pas eu d’effets. Les rues semblent celles d’un dimanche. La raison de fond de la force de grève est évidente : la colère grandissante des travailleurs due à la détérioration économique croissante. 

Les prix flambent, les salaires ne couvrent rien. Le chômage technique et les licenciements semultiplient. Et le prix du dollar « parallèle » (c’est-à-dire, dans le marché noir) est monté jusqu’à 14 pesos. La question qui se pose est comment vont continuer les choses, de quel côté va basculer la situation économique. Cela dépend en grande mesure de si le gouvernement réussit à avoir une situation économique plus calme. Parce que sinon on pourrait revoir une crise générale comme celle du début de l’année.

L’autre point important est que la gauche a encore une réalisé des piquets de grève réussis. Notre parti a eu un rôle d’avant-garde dans les deux les plus importants : Panamericana et Henry Ford (au cœur de la zone industrielle du nord de Buenos Aires)  et le Pont Pueyrredon (qui lie la Capitale avec la banlieue sud) : au total, nous avons participé à plus d’une dizaine de piquets de grève dans tout le pays [1]. Les piquets ont été un peu moins « chauds » que dans la journée du 10 avril, où le gouvernement a essayé sans succès d’empêcher le piquet de Panamericana.

Habilement et voyant que la situation était tendue, il a évité toute polarisation. Il a seulement lutté un peu quand on a monté dans le Pont Pueyrredón, mais sans conviction. Il a plutôt essayé à passer tranquillement la journée.

Le fait que les bus fonctionnent et que les gens ne sortent pas de chez eux a fait que l’effet des piquets soit, en tout cas, un peu moins important. Et pourtant les médias ont remarqué la « grève de Moyano, Barrionuevo, Micheli et la gauche  [2] », ce qui rend compte de son rôle croissant, syndical et  politique, dans la réalité politique du pays. 

Le pari de Moyano

En tout cas, on peut dire qu’il n’y a pas eu de grands débordements : la grève a été contrôlée, malgré les piquets réalisés. Puisque Moyano a agi intelligemment pour éviter que la grève ne soit pas chaude. Après avoir fait semblant de l’appeler pendant des mois, il a appelé à la grève en essayant que celle-ci soit le plus « froide » possible : entre l’appel à la grève et de sa réalisation, il ne s’est passé qu’une semaine. 

Il a eu le problème – pas du tout prévu – que le Syndicat des Chauffeurs a enfin refusé d’appeler à la grève. L’argument du dirigeant de ce syndicat a été que « ce n’était pas le moment pour une grève générale », avec l’excuse de la bagarre contre les « fonds vautours ». 

Malgré cela, la grève a été très importante et suivie, parce que la situation économique s’est détériorée, parce que l’austérité impose ses effets, parce la grève se réalise sur la base d’une situation préexistante de désillusion de larges secteurs avec le gouvernement ; désillusion qui s’est agrandi tout au long de l’année, au-delà d’une certaine remontée dans la popularité de Cristina en juillet ; popularité qui pourrait maintenant avoir atteint à nouveau un plafond et commencer à s’effriter.

En donnant si peu de temps pour le préparer, cependant, Moyano a essayé (et en grande partie réussi), de faire la grève la plus passive possible. Ceci afin de ne pas être contraint d’appeler des nouvelles grèves, de ne pas faire que la grève ait l’effet – ne pas voulu pour lui – de déborder le calendrier électoral ou de déstabiliser la situation plus largement.

C’est là où nous pouvons essayer une comparaison de cette grève générale avec les deux précédentes. Nous pourrions dire qu’elle a été un point intermédiaire entre le 10 Avril et le 20 Novembre. Au sujet d’avril dernier, nous pensons qu’elle a été un peu moins forte, moins « chaude » que cette dernière dans la mesure où la grève d’avril a été réalisée au début des attaques brutales du gouvernement, lorsque il n’était pas sûr que ces attaques s’imposeraient ; le climat politique général était tendu d’une façon plus profonde qu’aujourd’hui (bien qu’il pourrait bientôt devenir critique avec le développement de la crise).

Par rapport au 20 novembre 2012, n’oublions pas que c’était la grève générale contre le gouvernement Kirchner. Mais en quelque sorte sa réussite a été plus inégale, bien qu’avec l’élément qu’il y a eu, pour la première fois, les piquets de grève de la gauche, en modifiant en partie, plus ou moins « symboliquement », le caractère passif des grèves de la CGT.

Cela ne veut pas dire que la grève d’aujourd’hui n’ait pas eu des situations inégales. Il a été très fort dans les syndicats qui y appelaient, ainsi que dans les usines d’assemblage automobile de la région Nord du grand Buenos Aires et de Cordoba (la plupart d’entre elles ont suspendu l’activité ou ont donné un jour de « repos » puisque l’organisation de travail ‘just in time’ fait qu’ils perdent plus d’argent s’ils travaillent irrégulièrement que s’ils ne produisent pas), et dans le syndicat de l’agroalimentaire au niveau national. Toutefois, il a été plus parmi les métallos. Beaucoup d’usines de sous-traitance de l’automobile ont travaillé normalement. Valeo à Córdoba, qui vient de réaliser des luttes importantes, a travaillé. Situation identique à Materfer, où la bureaucratie syndicale avait appelé à des actions contre les licenciements. Dans la fabrication de pneus, la bureaucratie kirchneriste de Pedro Wasiejko a appelé à travailler. Mais en Fate, l’usine la plus importante de pneus du pays, la grande majorité des travailleurs a fait grève.

Moyano et Barrionuevo disent qu’encore une fois « ils vont donner au gouvernement le temps de répondre ». Mais ils savent que Cristina ne répondra rien. Et le gouvernement sait aussi que Moyano n’ira pas plus loin… 

De toute façon, la dynamique générale de la situation ne dépendra pas de ce que veut Moyano. Même pas de ce qui veut le gouvernement. Le rythme des choses dépendra du cours l’économie qui, en ce moment, semble entrer dans une nouvelle spirale de crise. 

Micheli soutient l’opposition de droite 

D’autre part le michelismo a préparé la mobilisation du 27 mais n’a pas été présent dans les piquets du 28. La CCC (maoïstes) et le MST, très faibles pendant les piquets le jour de la grève, sont allé à la remorque dans la mobilisation du 27, à laquelle s’est joint, à tort à notre avis, le PO. Une mobilisation politiquement confuse pour dire le moins. 

Puisqu’une mobilisation effectuée la veille de la grève générale, centrée sur le Congrès et non à la Plaza de Mayo (où se trouve le Palais Présidentiel) et en créant l’illusion que de la main d’opposition de droite on pourrait avoir des réponses pour les travailleurs  (l’interdiction du chômage technique et des licenciements pendant un an, l’élimination de l’impôt sur le revenu…), ne peut être définie que comme une opération opportuniste qui cherche à abandonner l’indépendance politique des travailleurs. Au lieu de mettre l’accent sur la confiance dans l’action directe des travailleurs, les solutions vendraient d’une sorte de « lutte parlementaire » de l’opposition de droite. Un exemple de ceci est l’illusion créée par Micheli dans son discours en disant que « comme le gouvernement serait sur le point de perdre sa majorité parlementaire, l’opposition aurait la possibilité de voter des lois en faveur des travailleurs »… 

Indépendamment de ce qui précède, la grève du 27 a été très suivie dans la fonction publique et cela a contribué à sa manière dans la création du climat général de « anomalie » vers la grève générale, dans le fait que beaucoup de gens décidassent de ne pas aller travailler en voyant les piquets de grève du 27.

Le rôle de la gauche 

C’est dans ce contexte que le rôle de la gauche dans les piquets doit être évalué. Le premier blocage et le plus stratégique, a été celui de Henry Ford et la Panamericana. Il a été réalisé à 0515 heures du matin par un accord entre notre parti et le PO (auquel se sont joints d’autres organisations et des secteurs d’avant-garde des travailleurs). 

Il s’agit déjà d’une conquête énorme de la période. Les médias ont annoncé la grève comme étant menée par par « Moyano, Barrionuevo, Micheli et la gauche ». Pendant ce temps, Pignanelli, bureaucrate du syndicat de l’automobile, le SMATA, s’est plaint dans le journal La Nación en disant « il est trop facile de faire des blocages sous ce gouvernement ». Il est clair que le chef du SMATA a une vocation de traître : la seule réponse qu’il trouve toujours est de demander plus de répression ! 

En général, il n’y a eu aucun problème pour réaliser des piquets. Ce n’est pas clair pourquoi le gouvernement a cherché à retarder les choses dans le pont de Pueyrredón. C’est peut-être parce qu’il voulait garantir les accès vers la Capitale Fédérale. Mais lorsque la situation a commencé à se chauffer, lorsqu’encore plus de camarades sont arrivés au piquet, il a dû permettre le blocage, en échouant même dans sa tentative de laisser une voie livre.

En outre, la grève est arrivée dans un moment où la gauche est à la tête des luttes ouvrières, mais non sans difficultés pour autant. Avec les défaites de Gestamp et Lear encore « récentes », il faut voir comment cela influence le scénario de débordements des luttes ouvrières menés par la nouvelle génération ouvrière. La lutte de Donnelley est ouverte et il y aura du chômage technique imposé dans l’industrie du pneu, où la gauche a une énorme présence.

Vers une nouvelle dévaluation générale ? 

De toute façon, le fait est que le gouvernement n’a pas fait le pari de polariser contre la grève. Capitanich a essaie lundi de faire une amalgame entre la grève et les fonds vautours (qui auraient financé la grève selon lui!), mais il n’a convaincu personne. Cristina a considéré que la grève aurait une forte adhésion, que la colère au sujet de la situation économique se développe, donc le coût politique de polariser contre cette mesure allait être supérieur aux avantages qu’elle pouvait en tirer. 

Puisque le gouvernement n’arrive pas à la grève générale dans son meilleur moment. Il a semblé récupérer de la popularité en juillet, mais tout s’est écroulé après l’échec des négociations avec les fonds vautours. Il est impossible d’arbitrer les conflits avec les poches vides. Sans réserves dans la banque centrale et sans accord avec les fonds vautours, avec le prix du dollar qui flambe dans le marché noir, ce qui se prépare est une nouvelle crise générale. 

Il y a deux semaines le gouvernement avait essayé un discours d’arbitrage des questions nationales. Il l’a fait en s’appuyant sur la popularité récupérée il y a un mois. Mais ce discours s’est évaporé très rapidement. La patronale l’a débordé par la droite en questionnant la Loi d’approvisionnemet (le gouvernement a déjà reculé dans pratiquement tout cela) et par la gauche, il y a eu l’appel à la grève générale et la continuité des durs conflits d’avant-garde.

Même si l’opposition ne va pas jusqu’au bout, si elle veut que tout s’oriente vers les élections de 2015, et si elle soutient les plans d’austérité du gouvernement (c’est-à-dire, elle agit comme un facteur de stabilité), la question est que essayer d’avoir une capacité d’arbitrage nécessite, comme on l’a dit, de l’argent. Et voilà ce qui le gouvernement n’a pas.

Les caisses de la Banque centrale sont vides, elles n’ont pas de devises. Et à cela s’ajoute le fait que, n’ayant pas réussi à trouver un accord avec les fonds vautours, le dollar est monté dans le marché noir jusqu’à 14,38 pesos, la cotisation la plus haute de toute sa gestion.

Un dollar parallèle hors de contrôle ne fait que grandit l’incertitude sur l’avenir du pays en remettant à l’ordre du jour une dévaluation du peso comme celle de janvier et en laissant la conjoncture dans son ensemble en question: vers l’élection de 2015 ou vers un scénario de crise générale renouvelée ? 

Il faut un grand rencontre national unifié 

La gauche a eu du retard pour répondre à la conjoncture. Elle a eu des réflexes lents pour faire face à l’austérité  dans la première moitié de l’année. Le PO n’avait à l’esprit que les élections présidentielles de l’année 2015. Le PTS a concentré toute son activité dans sa campagne pour les pétroliers de Las Heras. Aucun des deux n’a ordonné sa politique autour de la lutte contre l’austérité kirchneriste, comme il le fallait. Ils n’ont donné aucune réponse à la question de la dette, et, encore moins de manière unifiée, aux durs conflits en cours. Le FIT a montré ce qu’il est : une « machine à empêcher » des initiatives conjointes. Il n’a jamais réussi à être un pôle de regroupement réel ; il ne s’agit que d’une coopérative électorale. 

Dans le même temps, les conflits de Gestamp et de Lear ont mis la nouvelle génération ouvrière dans le centre de la scène ; ils ont ouvert aussi un débat stratégique profond sur la façon de faire face à cette conjoncture de luttes dures, sur la stratégie à adopter pour les orienter. 

Ces dernières semaines, la lutte de Lear a été au centre de la scène, étant largement repris par les médias. Mais maintenant nous vivons une très grave défaite et ce qui suit est une campagne pour la réintégration des collègues licenciés et pour qu’ils ne pourrissent pas la vie des camarades ex-délégués.

Il faut arrêter de tourner en rond, il faut arrêter le nombrilisme. Après la grève générale et face à l’hypothèse d’un scénario de crise renouvelée, il est nécessaire d’organiser un rencontre nationale unifiée des activistes ouvriers d’Atlanta et du SUTNA San Fernando [3]  pour donner une réponse unifiée. Et se pose la question aussi, d’ouvrir un débat général entre le FIT et notre parti (qui avance vers l’obtention de la légalité électorale nationale) autour des alliances de la gauche qui laisse derrière l’impasse de l’électoralisme.

 


[1] Le PTS a été à l’arrière-garde dans le deux blocages, en arrivant en retard, notre parti est arrivé le premier aux deux blocages, avec le PO.

[2] Respectifment, dirigeants de la CGT, de la « CGT bleue et blanche » et de la CTA.

[3] Le Rencontre d’Atlanta a été un rencontre d’activiste ouvriers appelé par des syndicats antibureaucratiques et des organisations de la gauche comme notre parti ; le SUTNA San Fernando est la section syndicale de l’usine de pneus FATE, influencé par la gauche.

Journal Socialisme ou Barbarie N°302, 29/08/2014

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