Après l’énorme mobilisation du 11 septembre, les tensions augmentent entre le gouvernement de Madrid et celui de la Catalogne
Barcelone.- Le 11 septembre a eu lieu une des plus grandes mobilisations de l’histoire catalane. Presque 2 millions de personnes, dans une région d’un peu plus de 7 millions de personnes, ont pris les rues pour demander que le 9 novembre prochain soit réalisé un référendum pour voter, par oui ou non, l’indépendance par rapport à l’Etat espagnol.
Le 11 septembre est la Dyade, comme on appelle la Journée Nationale de la Catalogne. Paradoxalement, contrairement à d’autres pays, leur « fête nationale » ne souvient pas un « triomphe de la nation », comme en France le 14 juillet (la prise de la Bastille), aux Etats-Unis le 4 juillet (Déclaration d’Indépendance) ou en Argentine le 25 mai (Révolution de Mai).
Au contraire, en Catalogne on commémore un échec sanglant. Le 11 septembre 1714, après une résistance farouche, Barcelone a été prise par les troupes des Bourbons, dont les descendants sont aujourd’hui monarques de l’État espagnol. La défaite a signifié la liquidation des institutions catalanes et la perte de l’autonomie relative qui avait été obtenue depuis longtemps.
Mais, dans ce cas, commémorer une défaite a sa logique, si l’on tient compte que, dans un contexte socio-économique et politique profondément différent de celui du XVIIIe siècle, les Bourbons règnent encore à Madrid et la Catalognen’est toujours pas indépendante.
L’immense multitude qui a participé à la dernière Dyade a été une expression claire et énergique de la volonté de la majorité du peuple catalan de voir concrétisé leur droit de décider sur leur indépendance de Madrid. Les presque 2 millions de personnes qui en marchant ont dessiné le «V» dans les avenues de Barcelone, ont laissé un message clair: nous voulons voter le 9N ! Et ils l’ont dit à la « communauté internationale », au gouvernement de Rajoy à Madrid et également au gouvernement catalan de CiU (Convergència i Unió) et ses partenaires de l’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya).
En doute la consultation du 9N
Précisément en raison de l’ampleur et la signification politique de la démonstration du dernier 11 septembre, la possibilité de faire effective la consultation le 9N est dans le doute par plusieurs raisons.
Le première est la position fermée, intolérante et déterminée du gouvernement de Madrid de ne pas céder d’un millimètre, ni de permettre une consultation quelconque, qu’elle soit ou non « contraignante ». En outre, on la prévisible décision du Tribunal Constitutionnel de Madrid d’interdire le référendum en le considérant comme inconstitutionnelle. Enfin, la consultation est en doute car la coalition politique qui gouverne la Catalogne (CiU et l’ERC) – à la tête de la« lutte pour l’indépendance » – est traversée par une série de tensions et craints qui mettent en cause qu’ils soient prêts à aller jusqu’au bout dans le processus d’autodétermination.
Simplement, la scène est incertaine. Éventuellement, tout ça pourrait déclencher une rupture « désordonnée» et violente avec l’Espagne d’aujourd’hui, héritière du régime du ‘ 78 (la Constitution qui a ordonné la « transition » depuis la dictature de Franco). Mais c’est quelque chose qui difficilement souhaitent ni Rajoy à Madrid, ni Mas, ni Junqueras à la tête de CiU et de l’ERC à Barcelone. Même s’ils se proclament nationalistes, ils devraient être prêts à une dure confrontation avec Madrid… dans tous les domaines.
C’est pourquoi « que va-t-il se passer le 9N? » est toujours une question ouverte. Si le gouvernement de Rajoy ne cède pas, comme jusqu’à présent, Mas mettra quand même en place les bureaux de vote? Et si Mas met en place les bureaux pour voter, le gouvernement central enverra des forces répressives et militaires pour l’empêcher? Et si la consultation est effectuée, dans quelles conditions et comment se fera-t-elle?
Dans ce contexte et avec la proximité de la date et la pression sociale, toutes les forces politiques sont entre l’épée et le mur en face d’un processus qui a commencé sa marche déjà en 2012. Aujourd’hui, tant l’empêcher comme l’ignorer implique des coûts politiques énormes. Mais, en même temps, si l’on vote, le triomphe du oui à l’indépendance est un évidence.
La vérité est que ce 9N les catalans veulent voter et décider. Mais le gouvernement de Rajoy est prêt à l’empêcher même en utilisant la force et les partis représentants de la bourgeoisie catalane semblent ne pas pouvoir ni vouloir le garantir… au moins dans ce domaine.
Les apprentis sorciers et des questions nationaux qui mettent en péril l’État espagnol
Il y a une grave question nationale dans l’État espagnol lui-même. C’est-à-dire que sous le régime de l’État, sa monarchie, son gouvernement et ses institutions, il y a des diverses nationalités historiques avec personnalité propre, qui ont été intégrées plus ou moins par la force. C’est aussi, ce qui s’est passé avec les catalans.
Cette question nationale était claire au cours de la Deuxième Repúblique (1931-1939). Ensuite elle a été faussement cachée grâce à la répression sous la dictature de Franco (1939-1975). Puis, avec la « transition », elle a été mal résolue avec la Constitution des Autonomies. Aujourd’hui, sous les coups de la crise, aussi bien de l’économie que du régime politique, le Pacte Constitutionnel est en train de craquer et la question nationale retrouve de la force.
Le nationalisme catalan, qui existait bien avant, maintenant récupère une force exceptionnelle. Ils y a eu deux attitudes antagonistes, mais qui ont donné lieu au même résultat: lui donner une force de masses et radicaliser les revendications indépendantistes. Ces deux attitudes antagonistes ont été, d’une part, la propagande consciente et subventionnée par des fonds publics du gouvernement de la Generalitat en faveur de la « nation catalane »; et d’autre part, l’intransigeance du gouvernement central, également financé par l’argent public et sa campagne de provocations contre le « séparatisme catalan ».
Effectivement, depuis Madrid, l’attitude du gouvernement de Rajoy n’a fait que renforcer le nationalisme catalan. Mais nous devons aussi reconnaître qu’il a réussi à isoler ce nationalisme du reste de l’État espagnol, dont les peuples aujourd’hui ne sympathisent pas généralement avec la cause catalane.
Pour sa part, le tandem de CiU-ERC depuis le gouvernement de la Generalitat a utilisé et propagé la ferveur nationaliste comme un écran de fumée pour masquer sa politique face à la crise. Pour l’essentiel, c’est la même politique que celle du gouvernement central à Madrid: les coupures budgétaires de l’Ètat-providence, les renflouements des banques, la réduction des droits démocratiques, la répression des manifestations… Cet écran de fumée a eu un résultat contradictoire.
D’une part, cela a confondu grandement le peuple catalan sur l’identité de l’ennemi: l’ennemi ne serait pas le gouvernement de Arthur Mas mais seulement le gouvernement central. Par conséquent, la crise électorale du bipartisme s’est traduite en Madrid dans la débâcle tant du parti du gouvernement (PP) comme de l’opposition (PSOE). Au contraire, en Catalogne, cela n’est pas comparable, ni avec le recul électoral plus faible de CiU, ni encore moins avec la remarquable croissance d’ERC.
Mais, en revanche, cela a engendré un radicalisme indépendantiste qui ni CiU, ni le grand patronat catalan (qui difficilement veulent l’indépendance), ne savent aujourd’hui comment inverser. Les apprentis sorciers ont réveillé un « monstre » que maintenant on ne sait pas 0 s’ils seront en mesure de contrôler.
Avec la mobilisation dans les rues, exigeons le droit de décider
L’unique garantie pour que la volonté du peuple catalan d’exercer son droit de décider le 9N ne soit pas frustrée, c’est avec la mobilisation dans les rues. Cela implique faire face vraiment au gouvernement central à Madrid, qui refuse au peuple catalan son droit à l’autodétermination. Mais aussi, faire face à des manœuvres de CiU-ERC, représentants de la bourgeoisie catalane.
Il ne faut pas avoir confiance dans ces forces politiques, en aucune manière. Même si officiellement ils ne capitulent pas aux pressions de Madrid, il ne faut pas se faire des illusions qu’ils vont confronter jusqu’au bout Rajoy avec l’unique arme efficace en dernière instance, qui est la mobilisation permanente des masses ouvrières et populaires.
Dans le contexte de la crise économique et sociale – qui n’est toujours pas résolue, tant dans l’État espagnol, que dans l’UE – ils ont donné impulsion au « souverainisme » comme moyen de pression dans les bagarres d’en haut sur la répartition d’un « gâteau » de plus un plus petit.
Mais, également, la politique avec laquelle ils ont conduit ce conflit a contribué à éloigner ou réduire le soutien nécessaire pour la Catalogne des autres peuples de l’État espagnol.
C’est doublement crucial, parce qu’il a à voir avec la solution du fond. En ce sens, nous soutenons sans réserve le droit à l’autodétermination du peuple catalan (ainsi que celui des basques, des galiciens, etc.), qui signifierait aussi la fin d’une monarchie, imposée par la dictature de Franco. Mais la solution de fond n’est pas la fragmentation en petits États, sous la botte d’une Union européenne qui signifie la dictature, depuis Berlin et Bruxelles, du grand capital financier. La seule solution favorable à nos intérêts est la libre association de nos peuples dans une République Fédérale des Travailleurs et Socialiste.
Par Carla Tog, de Barcelone pour Socialisme ou Barbarie, 16/09/2014