Sep - 29 - 2014

Après un long et somnifère été, la rentrée a commencé avec force en France. Peut-être ce qui a marqué son début de la manière la plus  claire a été la crise politique qui s’est  déclenché au sein du gouvernement avec la sortie de plusieurs ministres, avec Arnaud Montebourg d’économie en tête. Cela a obligé le gouvernement démissionner et à former un nouveau cabinet, qui a  réaffirmé un cours farouchement pro-patronale. [1]

Cependant, la politique du gouvernement se heurte à deux obstacles. D’un côté, la pression accrue de la situation économique, le « retard relatif » de France en termes de compétitivité capitaliste, qui a comme expression une  patronale que malgré les «déclarations d’amour » [2] que le gouvernement a fait, exige toujours plus, en lançant des provocations contre la classe ouvrière qui n’aident pas aux tentatives du gouvernement de contrôler la situation.

Mais aussi, le gouvernement pourrait commencer à rencontrer un problème encore plus important : la résistance organisée de la classe ouvrière. Une grande partie des « aller-retours » du gouvernement et du patronat ont à voir avec cela : comment avancer  avec la flexibilisation du travail et la dégradation des conditions de travail sans « réveiller la bête ». Cependant, la lutte des cheminots avant les vacances d’été et l’actuelle grève chez Air France, ainsi que la lutte des hôpitaux, semblent annoncer que la classe ouvrière se met en mouvement.

La crise politique

Nous ne nous arrêterons pas intensivement dans l’analyse de la crise politique qui traverse le gouvernement de Hollande (nous renvoyons au lecteur à l’article précédemment cité), mais nous nous  limiterons à une brève description de comment celle-ci s’est déroulé depuis qu’a été annoncé la formation du nouveau cabinet.

Peu après, le Secrétaire d’Etat au commerce extérieur, du tourisme et les Français d’outre-mer, Thomas Thévenoud, a démissionné, seulement 9 jours après d’avoir été nommé- en battant le record du haut-fonctionnaire le « plus court » de la V République-. La raison a été que Thèvenoud avait passé plusieurs années sans payer des impôts (tandis qu’on demande aux travailleurs de faire « les efforts nécessaires »): il a dit qu’il avait une «phobie administrative» (sic) qui l’aurait empêché aussi, comme l’ont révélé  plus tard certains médias, de payer son loyer pendant trois ans, ainsi que plusieurs amendes et des factures de soins médicaux…

Peu de temps après cela fut le tour de la sortie de l’ouvrage « Merci pour ce moment », de Valérie Trierweiler, ancienne compagne du Président François Hollande, ou elle décrit des aspects intimes de leur relation. Il a été un énorme succès éditorial et a été repris par la majorité des médias. Un des passages les plus répandus a été celui où Trierweiler dit que Hollande se référait aux pauvres comme les « sans- dents », phrase qui a été fortement critiquée par l’ensemble de l’échiquier politique.

Tout cela a contribué à détériorer encore plus  l’image de l’exécutif: un sondage d’opinion publiée il y a quelques jours donnait seulement 13 % d’image positive à  Hollande ; Manuel Valls conserve encore 35 % d’image positive, mais il est en chute libre depuis son entrée en fonction comme Premier Ministre, quand il était encore à 60 %.

Le reflet le plus important de cette détérioration politique du gouvernement est résultat  serré que Manuel Valls a obtenu pendant le vote de confiance à son gouvernement au Parlement. Il a obtenu 269 voix en faveur, 244 en contre et 53 abstentions. Cela est important pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les membres du Parti Socialiste qui se sont abstenus ont passé de 11 (à l’occasion du précédent vote de confiance pour le gouvernement Valls I)  à 32 ; au champ d’abstentions se sont joints les  écologistes, qui  s’étaient déjà éloigné  lors du  premier gouvernement  Valls, et que celui-ci n’a pas pu rapprocher pour la formation du nouveau cabinet.

Mais la conséquence la plus importante c’est que Valls est loin de la majorité absolue, pour laquelle  il devrait avoir  289 votes. Cela peut présenter des graves  problèmes à l’avenir à l’heure de voter de nouvelles réformes du travail, surtout si les dits «frondeurs» (l’aile gauche du PS qui s’est déjà abstenu lors de ce type de vote) décident sous la pression sociale de ne pas voter certaines lois. Cela pourrait être une possibilité réelle, étant donnée la combinaison entre un mécontentement sociale croissant et un patronat qui se propose d’avancer sur  la destruction des conquêtes historiques de la classe ouvrière.

La provocation du patronat

Les données de la situation économique ne pourraient pas être plus claires : l’Insee vient d’affirmer que la France a eu une croissance nulle du PIB  au deuxième trimestre de 2014. En juillet, le chômage a augmenté pour le neuvième mois consécutif (+ 27,400 personnes) ; en août, il semblerait qu’il diminuerait (-11 100 personnes), bien que de façon insuffisante pour inverser la courbe du chômage de ces derniers mois, et sachant qu’août tend à être un mois « favorable à l’emploi » par son caractère touristique.

Face à cette situation, le chef du MEDEF, Pierre Gattaz, a réalisé une interview avec Le Monde dans laquelle il propose des mesures pour créer 1 million d’emplois d’ici à 2020 (allez être au chômage pour encore six ans n’est pas si grave ; les 2 millions et demi restants peuvent attendre encore 20 ans). À la question de l’intervieweur sur les 40 milliards d’euros  d’allégements de charges pour les employeurs, Gattaz répond que cela n’est que  « Les entreprises françaises sont comme un noyé qu’on sort de l’eau et qu’on commence à ranimer »

Passons brièvement en revue les mesures proposées. Tout d’abord, il faut oublier la journée de 35 heures : pour Gattaz, l’idéal serait que « chaque entreprise fixe le temps de travail »: 32, 35, 40…48. C’est aussi une chose du passé le salaire minimum : pour les chômeurs de longue durée, le chef du MEDEF propose un salaire plus bas que le minimum, l’assurance-chômage « compléterait » le reste pour arriver au SMIC. Donc, on fait d’une pierre deux coups: on finit dans les faits avec le salaire minimum (de l’application de cette mesure pour les chômeurs « chroniques », à son application sur le reste des travailleurs, il n’y a qu’un pas) ; de plus, c’est l’État qui va combler le trou. A cela viendront s’ajouter d’autres mesures « mineures »: autoriser le travail le dimanche, avoir deux jours  fériés en moins par an.

Mais Gattaz lui-même résume clairement le fond du programme du MEDEF : les droits du travail sont trop compliqués «contrat, convention collective, code du travail »… Le plus simple serait de simplement en finir avec toutes ces règles: « c’est au niveau de chaque entreprise qui tout doit se décider ». Fragmenter les travailleurs, en finir avec les droits conquis avec la lutte, flexibiliser le marché du travail, dégrader les conditions de travail et de vie. Voici le programme de fonds du patronat face à la crise économique.

Toutefois, la classe ouvrière a montré qu’il ne sera pas si facile de mettre un terme à des conquêtes historiques en termes de droits du travail. La grève à Air France et la lutte des hôpitaux sont un exemple de cela.

La lutte d’Air France

Au moment de la rédaction de cette note, la grève des pilotes d’Air France rentre dans son 10e jour. C’est la plus longue grève depuis 1998, qui a un soutien énorme (environ 70 % de grévistes) et un impact direct avec l’annulation en moyenne d’un vol sur deux. Les pertes estimées sont de l’ordre de 15 millions d’euros par jour pour l’entreprise, un véritable coup du point de vue économique.

Le point central de la grève est la lutte contre le développement de Transavia, une filiale low-cost d’Air France, qui est déjà établie en France et aux Pays-Bas, et que la société devrait développer au niveau européen. La raison de la contestation est claire : une compagnie low cost signifie des travailleurs low-cost : salaires plus bas, conditions de travail plus difficiles, moins de protection. Il s’agit, en bref, de « délocaliser » non seulement à travers l’ouverture de nouvelles filiales (par exemple au Portugal, où la flexibilité du travail est plus grande), mais à l’intérieur même de l’entreprise, divisant les pilotes entre ceux qui ont un meilleur statut à Air France et ceux qui auront des conditions d’emploi moins avantageuses sur Transavia.

Par conséquent,  depuis le début du conflit la revendication des pilotes a été la mise en place d’un contrat unique pour tous les pilotes du groupe, tant de Transavia que d’Air France. Au fur et à mesure qui progressait la grève, l’axe a avancé vers l’abandon total du projet de Transavia Europe  et d’arrêter l’expansion de la flotte de Transavia France. Les pilotes viennent de rejeter une manœuvre de la direction, qui prétendait « suspendre » le projet de Transavia Europe jusqu’en décembre et ont décidé de poursuivre la grève, en exigeant le retrait total du plan.

La grève a pris une importance nationale, tant en raison de son impact économique que par le fait que c’est une réponse à l’un des principaux objectifs du gouvernement et du patronat : flexibiliser les conditions de travail, améliorer la compétitivité capitaliste de la France au détriment des travailleurs. C’est pourquoi dès le départ les plus hautes sphères du pouvoir politique sont intervenues contre la grève : en appelant à son arrêt, en l’accusant de « corporatiste », de « détériorer l’image de la France » et d’autres provocations.

Dans tous les cas, il est clair que la grève des pilotes d’Air France peut être décisive pour la situation politique et sociale en France, que sa victoire serait une victoire pour tous les ouvriers. C’est cela qui a compris le patronat de l’aviation civile, qui a publié une déclaration commune contre la grève. Et aussi ce qui ont compris des secteurs des travailleurs d’Air France autres que les pilotes (terre, personnel navigant) qui soutiennent la grève parce qu’ils savent que le développement de Transavia signifierait une plus grande précarité pour tout le monde.

Construire la convergence des luttes et la réponse ouvrière à l’austérité

Ces deux combats, Air France et la lutte des hôpitaux, marquent le ton de la rentrée. Ce sont des exemples de résistance aux plans d’austérité, qui frappent autant le secteur privé que public et ont comme centre la dégradation des conditions de travail.

Dans les deux cas, des formes de convergence semblent commencent à émerger. Chez Air France, grâce au soutien que les autres catégories du personnel d’Air France ont déclaré à la grève des pilotes, et que de se cristalliser dans une grève ensemble signifierait un saut qualitatif dans la lutte. Dans le cas des hôpitaux, par le biais de structures de coordination nationales, indépendantes des syndicats et des divisions artificielles qu’ils imposent ; structures qui ont construit avec succès l’appel à une manifestation où plus de 80 hôpitaux étaient représentés.

Le résultat de ces deux combats (surtout d’Air France, qui occupe une place centrale dans l’actualité politique ; la lutte des hôpitaux est plus embryonnaire et a de l’importance surtout comme phénomène d’organisation par en bas) aura un impact direct sur la situation politique française. Apporter tous nos efforts à la victoire de ces luttes est l’une des tâches principales de la gauche révolutionnaire dans la situation actuelle.

Mais, en outre, pour arrêter les plans du gouvernement et du patronat on aura besoin d’une mobilisation d’ensemble. La grève des cheminots, celle d’Air France et des hôpitaux, montrent qu’il existe une énorme potentialité de lutte dans le prolétariat français. La crise politique du gouvernement, sa popularité extrêmement faible et l’indignation générale provoquée par les propositions du MEDEF chez les travailleurs sont des possibilités à exploiter en vue de la construction d’une mobilisation générale. Nous avons pleinement confiance dans les capacités de la classe ouvrière française à se mobiliser et à mettre un coup d’arrêt aux plans d’austérité.

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 [1] Voir « Crise politique en France : le gouvernement « Socialiste » réaffirme son cours de pro-patronal », http://www.socialismo-o-barbarie.org/?p=3278

 [2] Nous nous référons au discours du premier ministre Valls à l’Université d’été  du MEDEF, dans lequel il a déclaré qu’il « aimait les entreprises », après lequel il a été applaudi avec fureur.

Par Ale Vinet, Socialisme ou Barbarie N°306, 25/09/2014

Categoría: Français