Le massacre dans la ville d’Iguala, Etat de Guerrero, de 43 étudiants, ainsi que d’autres morts avant de ce massacre, a consterné le Mexique et le monde.
La plupart des victimes étaient des étudiants de l’école Normale Rurale de Ayotzinapa. Comme d’autres écoles, cette Normale Rurale a une longue tradition d’activisme politique et étudiant de gauche.
Récemment, avec des compagnons d’autres écoles secondaires du Mexique, ils avaient mené une campagne contre la politique éducative du président Peña Nieto du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel).
En appliquant une « réforme éducative » néolibérale votée au parlement mexicain l’année dernière, Peña Nieto est en train de ravager l’éducation publique. Une de ses cibles favorites sont les écoles normales rurales. Son objectif est la disparition de ces haïs écoles, incubateurs de militants et d’activistes. Et ses élèves sont dans une campagne pour l’empêcher. Parmi ces écoles, celle d’Ayotzinapa se distinguait par l’agitation que ses étudiants menaient aux différentes villes de l’Etat de Guerrero.
Le massacre n’a pas été, alors, une coïncidence, mais un crime d’Etat. Ses victimes, un groupe d’étudiants de cette Normale, ont été tués parce qu’ils avaient voyagé à la ville voisine d’Iguala, pour faire campagne contre la réforme éducative.
« Pendant l’une de leurs tournées, le 26 septembre, deux autobus pleins d’étudiants ont été arrêtés à Iguala, dans le nord de l’État et mitraillés en toute impunité par la police, faisant six morts, entre eux trois étudiants et un joueur d’une équipe de foot dont le bus passait par là, ainsi qu’une vingtaine de blessés. Ensuite, les policiers ont arrêté 43 jeunes, les ont fait monter à leurs camions et les ont emmenés vers des directions inconnues. Pendant dix jours les étudiants ont resté disparus, produisant une véritable fureur de colère à Iguala, Chilpancingo, Acapulco et dans d’autres populations de Guerrero. Finalement le 4 octobre, dans la sierra voisine d’Iguala a été découvert une fosse avec une vingtaine de cadavres, presque sans doute appartenant à une partie des étudiants qui ont été enlevés, tués et ensuite brûlés » [[1]]
Ce massacre, aurait été ordonné par le maire d’Iguala, José Luis Abarca Velásquez (aujourd’hui fugitive) et son épouse Maria de los Angeles Pineda Villa. Les deux sont chefs du cartel de trafiquants de drogue « Guerriers Unis », qui en plus est difficile à distinguer de la police municipale. Comme un journaliste le décrit avec de l’humour noir, pour le quotidien La Jornada du Mexique, ces gens font de policiers lorsqu’ils portent l’uniforme, et quand ils s’habillent de civil ils travaillent de narcos. La protestation étudiante aurait dérangé à la dame María de los Ángeles, qui aurait demandé à son mari de mettre fin à celle-ci. [[2]]
Pour Abarca Velásquez, ce n’était pas une tâche nouvelle. Selon le quotidien La Jornada, depuis plusieurs années, il est accusé de nombreux meurtres, y compris contre des ennuyeux dirigeants agricoles. [[3]]
Et un épisode comme ça, n’est pas une « rareté » exclusive de la ville d’Iguala. À des degrés divers, la même chose se produit tout au long de cet État et ailleurs au Mexique.
Pour cette raison, face aux abus qu’ils doivent suporter, se sont multipliés à Guerrero les tentatives des secteurs populaires de s’armer eux-mêmes, par le biais de « autodéfenses » et « polices communautaires ». Mais ils ont dû faire face à la répression du gouverneur, Angel Aguirre Rivero. Une de ses actions les plus scandaleuses a été l’emprisonnement de la commandante Nestora Salgado, chef des policiers communautaires, qui a osé défier le narco-État, dirigé par Aguirre Rivero avec le plein appui de l’État national.
Un gouvernement de « gauche »
Peut-être la chose la plus étonnante, et qui rend compte du degré de putréfation de l’ensemble de l’appareil d’État et politique de la bourgeoisie mexicaine, c’est que tant le gouverneur Angel Aguirre Rivero et son maire dans Iguala, José Luis Abarca Velásquez, qui a ordonné à sa narco-police le massacre des étudiants, sont considérés comme « de gauche ».
En effet, les deux sont dirigeants du PRD (Parti de la Révolution Démocratique). Dans le système politique « tripartite » qui gouverne aux États-Unis du Mexique, il y a trois parties principales: un parti de « droite », le PAN (Parti d’Action Nationale); un autre, de « centre », le PRI, qui détient aujourd’hui la présidence avec Peña Nieto ; et un troisième, «de gauche”, le PRD.
Dans l’Etat de Guerrero, paradis des cartels de la drogue, le PRD-« de gauche » – gouverne depuis de longues années et Aguirre Rivero est à son second mandat.
Bien sûr, cette division des trois principaux partis mexicains dans la « droite », le « centre » et la « gauche » est seulement une fiction-politique. Elle a disparu au début de la présidence de Peña Nieto. Les trois partis ont signé le « Pacte pour Mexique », un accord sur le paquet de mesures du gouvernement de Peña Nieto, qui couvre de la destruction de l’enseignement public au saccage du pétrole et la privatisation de Pemex.
Jusqu’à quand…?
Le Mexique est présenté par la propagande impérialiste comme un exemple de progrès et de bonne gouvernance, où il n’y a aucune intention de désobéir les ordres du maître du Nord, comme c’est le cas dans une certaine mesure en Amérique du Sud.
En effet, la soumission à Washington des gouvernements mexicains, surtout après le NAFTA, l’accord de libre-échange avec les États-Unis et le Canada depuis 1994, est totale. Il est seulement comparable à celle des gouvernements comme celui de la Colombie ou du Panama. En même temps, ce double processus de néolibéralisme et de colonisation qui a cristallisé dans le NAFTA, a impliqué une catastrophe sociale de chômage et une croissance phénoménale de la pauvreté et de la marginalité. N’ayant pas eu une issue révolutionnaire, l’un des résultats a été la décomposition sociale et politique sur laquelle fleurissent les cartels de narcos et leur appareils paramilitaires qui dévorent les institutions « normales » de l’État bourgeois.
La grande question est: jusqu’à quand sera toléré par les travailleurs et le peuple mexicain cette situation, où il est « normal » qu’une manifestation pacifique d’étudiants reçoit comme réponse un massacre?
La vague de colère que ce crime a suscité et les protestations qui ont éclaté à Guerrero et ailleurs au Mexique, peut-être indiquent que la patience s’épuise…
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[1].-Manuel Aguilar Mora, «Masacres y desapariciones en México, producto de descomposición política », (en espagnol) dans cette édition de SoB sur le web. Ensuite, il a été signalé que les corps trouvés ne seraient pas ceux des étudiants. Entre temps sont apparues d’autres fosses communes avec des cadavres d’assassinés par les narco-policiers qui sont une partie fondamentale de l’appareil de l’Etat de Guerrero et dans tout le Mexique.
[2].- “Esposa del alcalde, responsable de la balacera en Iguala”, (en espagnol) PuntoxPunto, 07/10/2014
[3]-Blanche Petrich, «À partir de 2013, on a dénoncé que le maire d’Iguala est un tueur, mais ils l’ont laissé libre – Il est responsable de la mort de trois dirigeants de la UPEZ, un des veuves accuse”, La Jornada, 10/07/2014 (en espagnol)
Par Rafael Salinas, Socialisme ou Barbarie, 09/10/2014