Jul - 2 - 2015

La crise grecque constitue un grand clivage dans la gauche. Elle a « mis à l’épreuve » les différentes orientations stratégiques des courants révolutionnaires.

Ici nous allons débattre avec le Secrétariat du Comité exécutif de la Quatrième Internationale-Secrétariat Unifié (le SU), qui est la principale organisation européenne trotskiste. Au-delà de son affaiblissement ces dernières années, c’est un courant historique, qui conserve une influence relative au niveau de l’avant-garde et a également une intervention indirecte en Grèce. Ceci à travers sa section officielle, l’OKDE-Spartakos (que la direction majoritaire du SU ignore puisque l’OKDE a une position indépendante et critique de Syriza), mais aussi à travers les organisations de Red Network[1], « sections sympathisantes » du SU, notamment DEA et Kokkino qui sont à l’intérieur de Syriza.

Le suivisme a Tsipras pour tout horizon

La politique du SU en Grèce est la conséquence directe d’une position stratégique pour cette période historique. Cette position consiste à postuler la construction de « partis larges » qui seraient aussi « sans définition stratégique ». Cela signifie que, en cette époque « post mur de Berlin », les délimitations entre réformistes et révolutionnaires n’auraient plus d’actualité. Il s’agirait tout simplement de défendre une politique « anti-néolibéral ». [2]

Après les différents échecs de cette politique -qui a conduit à un affaiblissement important du SU en Amérique latine, puis en Europe de l’Ouest[3]-, sa direction s’accroche à ce qu’ils considèrent l’expression ultime de cette position stratégique : Syriza.

Cela a conduit au suivisme le plus absolu face à cette formation. Déjà lors des élections de 2012, la direction du SU appelait à voter de manière critique pour Syriza, souscrivant à un « programme d’urgence »… que Syriza elle-même avait déjà commencé à abandonner, comme l’avait rappelé à juste titre la section grecque, l’OKDE-Spartakos[4].

Après la victoire de Syriza en janvier de cette année, le SU s’est consacré à célébrer cette victoire sans alerter sur la politique globale de sa direction. Au-delà des critiques isolées (par exemple, sur le paiement de la dette), il n’a pas soulevé un programme alternatif qui soulignât les limites de son réformisme pro-européen et institutionnel. [5]

Le pire, c’est que ce soutien inconditionnel à Tsipras est déguisé comme « soutien au peuple grec » et « défense de Syriza face aux attaques de l’impérialisme »…

Sans aucun doute, nous défendons le peuple grec des attaques de l’impérialisme (qui s’expriment notamment aujourd’hui par l’asphyxie économique) et même de son gouvernement s’ils voulaient par exemple faire un coup d’État pour le renverser. Mais cela exige simultanément l’indépendance intransigeante et la critique systématique de la politique du gouvernement du Syriza, qui mène le peuple grec à une catastrophe.

Además, la posición de la mayoría del SU ni siquiera es de “apoyo crítico” a Tsipras, sino prácticamente incondicional. Es un engaño. En las declaraciones del SU no hay ninguna “defensa critica”, o de “rechazo a los ataques del imperialismo delimitándonos al mismo tiempo de la dirección Syriza”. En realidad, es una posición de encolumnamiento total y sin mayores críticas detrás de Tsipras.

En outre, la position de la majorité du SU n’est même pas du « soutien critique » à Tsipras, mais quasiment inconditionnel. C’est une arnaque. Dans les déclarations du SU il n’y a aucune « défense critique », ou de « refus des attaques de l’impérialisme en nous délimitant en même temps de la direction de Syriza ». En réalité, c’est une position de suivisme total et sans critiques majeures derrière Tsipras. [6]

La direction du SU ne se délimite pas de l’impasse auquel Syriza et la majorité de sa direction mène le peuple grec. Il critique seulement les attaques de l’UE, mais « il acquitte Tsipras de tous ses péchés » à partir de l’appel au référendum.

En ese sentido, se dice que “la UE y el FMI no podían aceptar que el gobierno griego no se plegara a sus exigencias”. En realidad, el gobierno de Syriza realizó una propuesta a los acreedores que incluía numerosas concesiones centrales, ¡plegándose en los hechos a casi todas sus exigencias!

En ce sens, il est dit que « l’UE et le FMI ne pouvaient pas accepter que le gouvernement grec ne se plie pas à leurs demandes ». En réalité, le gouvernement de Syriza a fait une proposition aux créanciers, qui incluait de nombreuses concessions centrales, en se pliant dans les faits à presque toutes leurs demandes !

Un appel acritique

Et maintenant, au moment où nous écrivons cet article, Tsipras a mis en question la réalisation du référendum et le vote par le « NON ». Il a proposé un nouvel accordpresque toutes les demandes de la troïka sont acceptées !

Pour quelles raisons alors le peuple grec doit voter « non », si Tsipras dans les faits a déjà dit « Oui » à la Troïka avant de voter ?

La politique Tsipras est caractérisée par la déclaration du SU comme « contradictoire ». Une justification est par exemple que le gouvernement a rouvert la télévision publique ERT ; donc, « les mauvais choix s’équilibrent avec les bons choix ». Le problème est qu’au-delà de cette action isolée, cela fait déjà six mois que le gouvernement de Tsipras recule et capitule sur tous les points… au-delà du fait que la Troïka s’appuie sur ceci pour l’humilier et lui demander de plus en plus de concessions.

Chaque jour a donné lieu à un nouveau recul, sans que jamais Tsipras n’ait l’idée d’appeler à la mobilisation des travailleurs et des masses populaires, pour les mettre sur pied de guerre contre le génocide de la Troïka, qui veulent faire crever la dalle au peuple grec pour terroriser ainsi le reste des peuples de l’Union Européenne.

Le fait est qu’en plus ce référendum -en plus de ce dernier recul scandaleux de Tsipras – n’est pas non plus une mobilisation. Voter n’est pas la même chose que lutter.

En bref, le SU n’arme pas l’avant-garde pour la bataille politique qui aura lieu dans les jours (et les heures) à venir. Il n’alerte pas sur la capitulation en série Tsipras, qui inclut maintenant même le référendum qu’il a appelé.

Il ne se délimite pas non plus des orientations stratégiques de Syriza, il ne signale pas les limites de sa politique pro-euro et hostile à toute action anticapitaliste sérieuse. Il ne souligne pas l’énorme coût économique et politique de l’orientation de Syriza ces derniers mois : des milliards d’euros versés au FMI ou fuités du pays, la démobilisation des travailleurs et du peuple, le discrédit de la gauche dans son ensemble…

En fin de compte, la direction majoritaire du SU ne propose pas une politique alternative révolutionnaire et (vraiment) anticapitaliste. Ceci exige l’indépendance de la direction de Syriza.

Pour paraphraser les camarades de l’OKDE-Spartakos[7], nous pouvons dire que pour la direction du SU « un programme de transition serait un luxe et que ce dont nous avons besoin c’est tout simplement un « plan d’urgence » démocratique-bourgeois »…[8]

Justement, ce qu’il faut est une politique et un programme pour la rupture anticapitaliste avec l’euro et cela signifie l’indépendance complète du gouvernement de Syriza et impulsion inconditionnelle de la mobilisation des travailleurs et du peuple. C’est-à-dire: un véritable programme de transition dans la perspective de la rupture avec le système.

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[1] La Red Network est un pôle d’organisations trotskistes à l’intérieur de Syriza, composé par DEA (Gauche Ouvrière Internationaliste, scission du SEK, la section de l’International Socialist Tendency en Grèce) et Kokkino (« Rouge » en grec, rupture de DEA en 2004). Les deux organisations ont le caractère de « observateurs » au SU, ils participent régulièrement aux réunions internationales et sont souvent invités comme conférenciers lors de meetings sur la question grecque.

[2] Voir à ce sujet Appel à un regroupement international des révolutionnaires sur des bases d’indépendance de tout gouvernement bourgeois

Courant International Socialisme ou Barbarie, Buenos Aires, Mars 2015. Disponible en: http://www.socialismo-o-barbarie.org/?p=4526

[3] La section portugaise du SU a fini par se dissoudre après des années d’intervention dans le Bloco de Esquerda ; la section italienne a vécu une rupture importante dans laquelle elle a perdu la plupart de la jeunesse, après avoir concentré ses activités sur la construction de Rifondazione Comunista. En France, le NPA est passée de 10 000 à 2 000 membres et la direction historique a perdu sa majorité dans le dernier congrès pour atteindre seulement 35 % des voix. En Amérique latine, le SU, au cours de la dernière décennie, a perdu au Brésil la quasi-totalité de ses militants, en se dissolvant dans le PT de Lula, plusieurs de ces militants ont fini comme ministres ou hauts fonctionnaires. Au Mexique, ai milieu des années 90, il avait quelque chose de semblable, en se dissolvant dans le PRD (Parti de la Révolution Démocratique), organisation impliquée l’année dernière dans la disparition de 43 étudiants de Ayotzinapa.

[4] Sur ce sujet, voir l’échange très intéressant entre la direction du SU et celle de l’OKDE-Spartakos. Disponible sur  : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article25502

[5] Voir Solidarité avec le peuple grec, Comité International de la IVe Internationale, disponible sur : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article34440

[6] Une preuve concrète de ceci a été la réalisation du meeting pro-Syriza organisé par la « gauche de la gauche » en France, c’est à dire le PCF, le Parti de Gauche, etc.. Après avoir perdu le vote dans la direction du NPA sur l’assistance de ce parti au meeting, l’un des leaders du SU (et du NPA!) a participé comme conférencier « au nom du SU »… Mais ce meeting, loin d’être « en solidarité avec le peuple grec » était un grand rassemblement de la gauche réformiste, inconditionnelle défenseure de l’Union européenne ; à savoir, le PCF, le PG, « l’aile gauche » du PS, qui défendent la perspective d’une « Syriza à la française ».

[7] L’OKDE-Spartakos, la section grecque du SU, fait partie de l’aile gauche de cette tendance internationale. Ils construisent la coalition anticapitaliste Antarsya et appellent à voter NON au référendum, sans avoir aucune confiance dans Syriza et en défendant un programme anticapitaliste, positions avec lesquelles nous sommes d’accord, raison pour laquelle nous nous occupons de le diffuser. Voir par exemple notre traduction à l’espagnol de la dernière déclaration du Comité Central de l’OKDE-Spartakos, publié sur notre site international : http://www.socialismo-o-barbarie.org/?p=5326

[8] Reponse de la OKDE-Spartakos à la déclaration du Bureau exécutif de la IVe Internationale, disponible sur : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article25502

Par Carla Tognolini, le 3/07/2015

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