Jul - 7 - 2015

Dans l’Amérique centrale ont lieu, en même temps, dans plusieurs pays, des tremblements qui ne sont pas de la terre, mais politiques. Ceci est arrivé presque en même temps au Guatemala, Panama et maintenant aussi en Honduras.

Avec très différentes groupements politiques et des figures au sein du gouvernement, les crises respectives en Honduras, au Guatemala et au Panama, sont de différent calibre, mais elles sont traversées par un élément commun comme détonateur, qui est la corruption phénoménale de l’appareil d’État et les dirigeants des partis patronaux. Bien sûr, il ne s’agit pas tomber dans la naïveté ou des falsifications  qui font de cela la seule cause des maux dont souffrent les masses travailleuses et populaires. La racine de tout, même de la corruption, est d’abord un capitalisme semi-colonial en crise, où il n’y a aujourd’hui aucune perspective réaliste d’amélioration de la situation de la majorité de la population.

Mais cela ne veut pas dire que la découverte des cas les plus scandaleux  ne puisse pas être déclencheuse de mobilisations sociales et politiques. Maintenant, en Honduras, l’indignation face aux conséquences atroces du pillage de l’Institut de Sécurité Sociale – avec environ 3 000 patients qui sont morts par cette raison – fait trembler  le régime assasin et réactionnaire  issu du coup d’état de 2009.

L’article suivant des camarades du Socialisme ou Barbarie Honduras, fait une analyse aiguë de la situation et, surtout, de la façon de l’utiliser pour surmonter la défaite de la résistance au coup d’état de 2009 et pour construire un alternative révolutionnaire des travailleurs et des jeunes. (SoB)

Honduras

Indignés contre la corruption

Lorsque le gouvernement de Juan Orlando Hernández semblait avoir réussi à consolider son projet de réélection basée sur l’autoritarisme et le néolibéralisme sauvage, des dizaines de milliers de personnes de tous âges et conditions sociales, brandissant des torches, remplissent les rues de la plupart des villes et villages d’Honduras exigeant  prison pour les gens corrompus qui ont pillé l’Institut Hondurien de la Sécurité Sociale, l’installation d’une Commission Internationale contre l’impunité, le procès politique contre les procureurs et les juges et la démission du Président de la République lui-même.

Les torches ont ouvert un débat important sur le cours de la lutte des classes d’Honduras, allant de ceux qui parlent d’un soi-disant «printemps » hondurien, entraînée par la « jeunesse » des réseaux sociaux, jusqu’à aux plus radicaux qui voient une situation révolutionnaire imminente avec perspectives insurrectionnelles. Nous croyons que nous  sommes face à un important phénomène hautement progressif qui est nécessaire d’étudier aussi largement que possible pour ne pas tomber dans les fausses analyses journalistiques ou le volontarisme ultra-gauchiste. Cette analyse a pour but de donner quelques éléments qui servent comme apport dans la construction d’une alternative révolutionnaire stratégique pour les travailleurs de notre pays.

Des énormes marches des torches partout au pays peuvent mettre en place un changement dans la situation du Honduras qui aille au-delà de la situation actuelle des mobilisations et qui favorise le peuple hondurien dans sa lutte contre le régime et sa politique répressive et néolibérale. C’est dans cette perspective que la gauche révolutionnaire doit participer et faire le pari de l’approfondissement de la mobilisation en avançant dans l’organisation indépendante, intégrant les travailleurs et les secteurs populaires pour s’autodéterminer démocratiquement pour construire son propre agenda dans la lutte contre la corruption, l’impunité, les privatisations et l’insécurité de l’emploi.

Le triomphe de la répression et des fraudes

Après la défaite de la résistance dans les rues et la fraude électorale de 2009 et 2014, un régime illégitime et autoritaire a été établi en Honduras, qui a concentré le pouvoir dans le Parti National, et en particulier en Juan Orlando Hernández, président du Congrès National entre 2009 et 2014 et le Président de la République depuis 2014.

Les principaux objectifs du régime étaient: de vaincre la résistance du peuple et ses organisations dans les rues avec une politique répressive, la militarisation de la société et la criminalisation de la protestation sociale; de légitimer le régime par le biais de l’accord de Carthagène et la reconnaissance internationale; et de poursuivre une politique néo-libérale radicale (gel des salaires, précarité de l’emploi, la privatisation des entreprises de l’État (ENEE, SANAA, HONDUTEL), les services  de base (éducation, santé, sécurité sociale) et les routes, rivières, forêts et enfin l’ensemble du territoire national par le biais des ZEDES (Zones d’Emploi et de Développement Economique).

Les deux premiers objectifs ont été atteints et le troisième avance rapidement générant un énorme transfert de ressources en faveur du capital privé national et étranger au détriment du peuple travailleur.

Les pierres dans la réélection du nouveau Carías

Les avancées du régime et dans lesquels Juan Orlando Hernández a joué un rôle fondamental, lui conduisent à chercher la réélection consciemment comme un nouveau Tiburcio Carías (Tiburcio Carías Andino (1876-1969), dictateur de  1933 à  1949). Il cherche à réformer la Constitution pour la police militaire soit sous son commandement direct et à supprimer les articles « obsolètes »  pour se présenter à la présidence de la République encore une fois. En même temps il essaie de former un groupe de pouvoir qui lui soutienne (banques, médias, églises).

Cependant, ses objectifs font face à l’opposition d’un secteur bourgeois et politique qui – partageant  les grandes lignes de la politique gouvernementale – ne veut pas être marginalisé dans la répartition des revenus générés lorsqu’on est à la tête les institutions de l’Etat. L’expression politique de cette contradiction est la formation de la Coalición Opositora (Coalition d’Opposition) dans le Congrés composée par le Partido Liberal, Anticorrupción, LIBRE et la députée du PINU.

Ils parviennent à empêcher que la Police Militaire soit aux ordres de Juan Orlando Hernández, mais le Partido Liberal et LIBRE se divisent sur la réélection, puisque les anciens présidents Carlos Flores Facussé et Manuel Zelaya (propriétaires des deux partis) aspirent à courir pour la réélection, tandis que d’autres dirigeants s’opposent avec le PAC.

À cette opposition parlementaire il faut ajouter une autre opposition obscure qui vient de secteurs de la bourgeoisie  liés au trafic de drogue et qui sont touchés par la politique des États-Unis à travers des extraditions.

L’IHSS, le pillage et la privatisation

Dans ce contexte général, le cas de la Sécurité Sociale a eu lieu. Pillée sur le plan institutionnel pendant le gouvernement de Pepe Lobo, avec la participation directe des fonctionnaires et des ministres du gouvernement commençant par le directeur de l’Institut hondurien de la Sécurité sociale et l’entreprise privé  qui fournit des services et des matériaux aux institutions de l’Etat, en particulier celles de la santé. Ont été responsables par action ou une omission les représentants des Centrales des Travailleurs dans le Conseil d’administration de l’institution, ainsi que des escrocs et opportunistes de toutes sortes, dans la principale et plus forte affaire criminelle de Honduras.

Le vol de plus de 7000 millions de lempiras (350 millions de dollars) a provoqué la pénurie générale de l’institution en aggravant les conditions sanitaires des assurés arrivant parfois dans de nombreux cas à la mort d’un patient; le non-paiement des assurances pour les handicapés et a mis en risque les retraites. Le IHSS (la sécu) est sur le bord de la faillite.

Comme avec d’autres institutions de protection sociale tels que le INPREMA, le INJUPEMP et le INPREUNAH, le gouvernement – dont le but est la privatisation de la sécurité sociale-, au moyen de la création de Commissions d’Intervention enquête sur la corruption existante, la plainte et justifie la privatisation.

Dans le cas du IHSS la Commission d’Intervention  publie, en février fin de 2014, le premier et le seul rapport sur l’effondrement  institutionnel  indiquant les chiffres et les responsables de celui-ci. Le procureur ouvre les enquêtes et après plusieurs mois arrête Mario Zelaya, de nombreuses pistes de recherche sont ouvertes, dont beaucoup ont été dirigées contre le désigné présidentiel  Álvarez de Ricardo (adversaire politique de Hernández à l’intérieur du Parti National). L’ancien président Pepe Lobo lui-même a reconnu en juillet de l’année 2014, qu’il était au courant de la situation et que « l’intervention n’a  pas été faite avant les élections car il générerait des énormes scandales et il fallait que les élections se passent bien, il s’agissait de consolider la démocratie au Honduras ».

Tandis que la poursuite judiciaire s’arrête dans le Ministere Publique, le gouvernement lance la  « Loi cadre du système de protection sociale » en privatisant tout le système de protection sociale du pays. La loi a été adoptée avec le soutien des membres de l’opposition et la légitimation du « dialogue et des consensus » avec les dirigeants des centrales des travailleurs, des entreprises privées, des universités, de la société civile et la commission deContrôle du IHSS (qui est celle qui écrit la loi après qu’elle soit approuvée).

Les chèques de la discorde

Aucun de ces faits n’ont causé scandale ni indignation au long de plus d’un an, sauf une petite résistance de certaines organisations de la côte nord. Enfin, il éclate en mai dernier lorsque des journalistes  associés à LIBRE (parti de « centre-gauche » lié à l’ancien président renversé par l’armée, Zelaya) rendent publique l’existence des chèques des entreprises qui ont pillé la Sécurité Sociale et qui ont servi à financer la campagne électorale du Parti National.

Plus précisément, les mobilisations  massives commencent après le 27 mai, après le forum de la télévision « Frente a Frente » (Face à Face) où l’ancien candidat présidentiel du Parti Anti-Corruption et  présentateur de télévision Nasralla Salvador fait face au député nationaliste  Oscar Álvarez en répétant les accusations de corruption du gouvernement, le fraude électorale et en faisant face à la menace d’être poursuivi en justice par le gouvernement qui nie qu’il ait reçu l’argent de la IHSS.

A partir de ce moment les rues commencent à se remplir avec des torches dans la plus grande manifestation de répudiation au gouvernement depuis l’époque de la lutte contre le coup d’état de 2009.

De la résistance populaire à l’indignation citoyenne

Les manifestations  ne sont pas la continuité de la « résistance » ou l’expression du mouvement populaire et encore moins de la classe ouvrière et non plus des organisations territoriales. C’est un nouveau phénomène causé par l’attaque constante sur le niveau de vie de la population par le biais des conditions de travail ainsi que par le biais des hausses d’impôts importantes mises en place ces dernières années. Tant ses revendications (toutes de caractère démocratique) que ses méthodes (marches civiques) et sa composition sociale (la classe moyenne, des secteurs populaires non organisées et des travailleurs précaires) nous indiquent que nous sommes face à un nouveau phénomène qui est l’expression déformée de la crise profonde du système capitaliste hondurien et ses institutions, mais qui ne dépasse pas les limites des institutions bourgeoises elles-mêmes mais qui cherche des solutions à l’intérieur de celles-ci.

La jeunesse qui  sort massivement dans les rues à nouveau n’est pas la même qu’en 2009, c’est un jeunesse sans l’expérience des combats de rue de la résistance, qui rejette la classe politique y compris les dirigeants du parti LIBRE et qui se présente comme « apolitique ». Une jeunesse qui n’a aucune organisation indépendante ou des mécanismes démocratiques pour prendre des décisions.

Contrairement à ce que les médias affirment, la direction politique des mobilisations ne sont pas des groupes de jeunes comme dans d’autres rébellions dans le monde. Derrière les jeunes sont les partis de l’opposition parlementaire, les ONG et la société civile ; qui nourrissent des propositions politiques le mouvement (la demande de la Commission internationale contre l’impunité, les procès politiques de destitution contre les procureurs et le Président), qui resserrent les rangs pour empêcher que le mouvement  soit structuré organiquement et s’autodétermine démocratiquement por maintenir le contrôle politique de celui-ci, tout cei pour forcer une négociation avec le régime sur les quotas du pouvoir pour avoir une meilleure position lors de l’élection de 2017.

Cette direction politique parlementaire s’est prononcée contre la démission de JOH et ils n’ont pas fait usage de leur majorité au Congrès pour impulser sa destitution, au contraire, ils ont rejoint à la Comision Multipartidaria (Commision Multipartisane) créée et dirigée par le Partido Nacional pour distraire l’opinion publique, et ils ont rejoint aussi les appels de l’impérialisme à former la Commission internationale contre l’impunité, à l’instar du Guatemala.

Rupture ou recyclage des institutions bourgeoises

La réponse du gouvernement de Juan Orlando Hernández aux dénonciations, aux mobilisations de torches et au mécontentement a contribué à les rendre massives. Le refus systématique de l’existence des chèques, les  menaces aux politiciens de l’opposition, les mobilisations payées par le Partido Nacional n’ont fait que faire  grandir l’indignation et la radicalisation des slogans dans les rues, sans qu’elles conduisent à la radicalisation de la lutte du fait du contrôle qu’a l’opposition parlementaire sur le mouvement. Au contraire, la  politique gouvernementale axée sur un  « les responsables paieront, peu importe de qui il s’agit » et le « dialogue national » apparaissent  comme un pont vers la société civile et l’opposition parlementaire pour canaliser le mécontentement vers les limites des institutions corrompues.

Le gouvernement a en sa faveur  le soutien international d’Europe et des gouvernements « progressistes » d’Amérique latine. Dans sa récente tournée européenne Juan Orlando a obtenu un  important soutien économique pour sa politique de protection sociale et depuis le Chili ils lui ont donné leur soutien à la candidature d’Honduras à la présidence de la Communauté d’États d’Amérique Latine et des Caraïbes (CELAC) pour 2017.

Dans le cadre de la lutte pour obtenir une meilleure position dans le processus électoral de 2017, les secteurs plus les liés à l’impérialisme américain cherchent à déplacer LIBRE comme la direction politique de l’opposition parlementaire en configurant une nouvelle direction autour de la figure de Nasralla, en capitalisant l’adaptation de LIBRE à la politique traditionnelle, son abandon de la lutte sociale et le discrédit de Mel Zelaya lui-même parmi les secteurs moyens et populaires non organisés.

De leur part, les propositions qui ont émergé de la soit-disant société civile ne sont qu’une  amélioration utopique des institutions bourgeoises faite par ces mêmes politiciens traditionnels. Des expressions telles que « dans un pays sérieux, le Président aurait démissionné » soulignent l’impuissance de ces secteurs qui ne trouvent  pas dans le Honduras du XXIe siècle aucune base matérielle pour construire un « état de droit » au minimum décent qui éradique la corruption et l’impunité, en  contribuant avec leurs propositions à garder les mobilisations dans le cadre de l’État bourgeois.

Dans ce contexte, il n’y a pas un agenda ou un programme minimum qui regroupe le mouvement ouvrier  et populaire autour de ses propres problèmes. La collaboration ouverte de la direction bureaucratique des Centrales des Travailleurs  avec les appels au  « dialogue national »’ agissant comme un obstacle et le suivisme des directions intermediaires à l’agenda de Mel Zelaya contribuent à l’absence de secteurs organisés dans les mobilisations, et les travailleurs apparaissent dilués dans les « indignés » faisant du suivisme aux nouvelles propositions bourgeois.

Vers une nouvelle réorganisation politique et sociale

Le mécontentement social exprimé dans les manifestations des torches montre les limites d’un État bourgeois  dont les « réalisations » sont basées sur l’attaque permanente au niveau de vie de la population, provoquant des protestations récurrentes; mais en même temps il montre les limites de la conscience politique des secteurs mobilisés et l’absence d’une direction révolutionnaire indépendante de la bourgeoisie.

De là se dégagent les tâches pour le moment actuel, qui consistent dans l’impulsion des mobilisations avec l’objectif clair de démasquer la politique conciliante de l’opposition bourgeoise et la complicité de la direction bureaucratique des centrales des travailleurs et contribuer à la réorganisation des travailleurs ainsi que les secteurs populaires du point de vue de l’indépendance de classe et de l’autodétermination démocratique.

Un élément essentiel d’une politique d’indépendance de classe est d’avancer dans un programme  qui intègre à la lutte contre la corruption la défense inconditionnelle du IHSS et des autres instituts de la sécurité sociale face à la privatisation.

Rejeter l’appel au « dialogue national » avec les corrompus qui les garanti l’impunité en exhortant à l’opposition parlementaire à impulser au Congrès le procès politique contre Juan Orlando Hernández, le procureur et le procureur adjoint.

Que les centrales des travailleurs révoquent et remplacent les représentants au Conseil d’administration du IHSS et désavouent toute participation au dialogue national en rejoignant les protestations avec ses propres méthodes de lutte.

Et que les jeunes mobilisés avancent  vers un vaste travail de structuration des fortes organisations de la jeunesse dans tous les secteurs: les universités, les collèges et les lieux de travail.

C’est dans la lutte pour faire avancer les objectifs  politiques des manifestations, son organisation indépendante et l’autodétermination démocratique que nous pourrons obtenir notre revendication : à bas  Juan Orlando Hernández!

Par Socialisme ou Barbarie Honduras, 16/05/2015

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