Jul - 17 - 2015

Comme nous l’avons souligné dans notre déclaration après  l’accord obtenu dans la matinée du lundi entre Tsipras et les « institutions », celui-ci est une capitulation absolue aux demandes des créanciers, qui consacre le caractère « semi-colonial » de la Grèce dans la construction impérialiste de la zone euro. En le signant, Tsipras a enterré la volonté populaire exprimée le 5 juillet dans le référendum où 62 % de la population, avec des pics de 70 % ou 80 % dans la classe ouvrière et la jeunesse, a rejeté une proposition qui était « meilleure » que l’accord actuel.

Cependant, bien que la capitulation ait conduit au découragement et à de la désorientation parmi la classe ouvrière et la population, il ne s’agit pas de la « fin du film ». Au contraire, depuis l’annonce de l’accord, les voix contre celui-ci se multiplient, en étendant ses racines dans des larges secteurs des organisations politiques de gauche et du mouvement ouvrier grec, qui a donné le coup d’envoi de la lutte contre ce nouveau mémorandum au moment où que nous écrivons ces lignes, avec une journée de grève et mobilisation à l’initiative principalement de l’ADEDY,  la Confédération syndicale de travailleurs de l’État. Une nouvelle crise politique semble tracer son chemin en Grèce.

En même temps, la signature de l’accord marque l’échec de la stratégie de Syriza, son respect total des institutions de l’Union Européenne impérialiste et de la monnaie commune, et de l’orientation de ceux qui dans la gauche révolutionnaire avaient l’espoir que Syriza aille « plus loin qu’elle ne le voulait » et qu’elle ouvre la voie à une rupture révolutionnaire. Ce dont ils’agit ce n’est pas simplement de dénoncer la trahison de Tsipras, mais comprendre les hypothèses politiques stratégiques qui ont conduit à la situation actuelle et proposer  un programme alternatif au service des travailleurs et du peuple grec.

Voyons ces deux éléments plus profondement.

La crise du gouvernement s’aggrave

Depuis que le gouvernement a presenté sa proposition d’accord à l’Eurogroupe, les fissures ont commencé. Au moment du vote parlementaire qui a validé cet accord pour que Tsipras aille négocier, l’écrasante majorité obtenue (250 parlementaires sur 300) n’a pas pu cacher un fait significatif: Syriza avait officiellement perdu la majorité absolue, passant de 162 sièges à 139. C’était le résultat du vote des membres de l’aile gauche de Syriza: deux membres qui ont voté contre, huit se sont abstenus et sept ont été absents spécifiant s’opposer à l’accord; à cela il faut ajouter 15 membres qui ont voté  pour l’accord « pour ne pas quitter la majorité au gouvernement avant les négociations », mais qui se sont prononcés contre l’accord.

Par la suite, une fois signé l’accord définitif, ce cours s’est accentué et la crise politique à l’intérieur de Syriza du le gouvernement s’approfondit chaque heure qui passe. La Plate-forme de Gauche de Syriza (qui compte une trentaine de députés) a déjà déclaré qu’elle voterait contre l’accord et prévoit la réalisation d’un meeting lundi prochain où il défendra son plan alternatif de sortie de l’euro, de nationalisation des banques et de l’annulation de la dette. La vice-ministre des finances, Nadia Valavani a renoncé en protestation contre l’accord, et la présidenet du Parlement, Zoé Konstantopoulou, a appelé le Parlement à rejeter l’accord.

En plus de cela il y a une série de refus à l’accord qui semblent gagner du terrain de plus en plus  au sein du Syriza. La jeunesse de SYRIZA appelle dans une déclaration du 13 juillet à  « empêcher que l’accord soit voté »; de plus en plus les sections locales ou régionales de Syriza se prononcent contre l’accord. Même dans le Comité Central de Syriza, 109 membres sur 201 au total ont signé une déclaration dans laquelle ils rejettent l’accord, qu’ils considèrent comme imposant des « conditions de tutelle odieuses et humiliantes ».

Le gouvernement pourrait cependant imposer sans difficulté l’accord au Parlement: il compterait sans doute avec l’appui des partis de la bourgeoisie pro-européens To Potami, PASOK et Nouvelle Démocratie. Officiellement, le gouvernement peut rester en pied, même s’il a perdu le soutien d’une partie de ses parlementaires: seule la rupture avec le bloc de Syriza d’un nombre de parlementaires suffisant pour que la majorité soit inférieure à 151 députés pourrait obliger Tsipras à présenter une nouvelle motion de confiance au Parlement et à former un nouveau gouvernement.

Au-delà des accords parlementaires qui soient enfin atteints, il est clair qu’une crise en règle s’est ouverte dans Syriza et dans le gouvernement. Plus généralement, celle-ci est le reflet du rejet que l’accord a généré dans des secteurs importants de la classe ouvrière et du peuple grec, qui, au-delà du probable découragement et de la désorientation a encore des énormes réserves de combativité et peut se mettre sur pied de guerre contre le nouveau mémorandum. Bien qu’il le souhaite, Tsipras ne peut pas effacer  la grande bataille du référendum, qui a donné lieu à une importante polarisation de clase et à la mobilisation par en bas de grands secteurs qui ont lutté pour le NON.

Ce dont il s’agit, maintenant, est donc de rompre ouvertement avec le gouvernement, qui est devenu sans aucun doute le nouveau gouvernement du mémorandum, rejeter l’accord au Parlement et appeler à la mobilisation dans les rues pour le combattre.

Il n’y a pas de place pour l’ambiguïté: comme disent correctement les camarades de l’OKDE-Spartakos,  « Qui continue d’apporter un soutien critique au gouvernement, apporte un soutien «critique» à l’austérité » [1]. De là que la position centriste de la Plate-forme de Gauche autour du vote du vendredi pour « habiliter » Tsipras à négocier n’ait pas été à la hauteur des circonstances. Les derniers développements posent néanmoins un virage à gauche de ce secteur. Pour jouer un rôle progressif, la Plate-forme de Gauche doit ouvertement dénoncer ce gouvernement pro-austerité, rompre avec celui-ci et prendre les rues avec tous ceux qui sont prêts à se battre pour l’annulation du troisième mémorandum.

Comme nous l’avons déjà souligné, la lutte contre le nouveau mémorandum a déjà commencé. La Centrale des Travailleurs de l’Etat, ADEDY, a convoqué une grève de 24 heures pour ce mercredi, avec une mobilisation à 19:00 à la place Syntagma, devant le Parlement où la proposition sera discutée. À cette jounée de lutte se sont joints les pharmacies, les employés des municipalités et les travailleurs du métro d’Athènes. Évidemment, les camarades de la coalition anticapitaliste Antarsya ont rejoint les diverses initiatives et ont organisés plusieurs manifestations devant le Parlement depuis vendredi dernier lorsque Tsipras a obtenu le soutien de celui-ci pour négocier avec l’UE.

Le premier point, donc, est une rupture nette avec le gouvernement et l’appel à la mobilisation dans les rues pour rejeter le nouvel accord. Parallèlement à cela, il est nécessaire de faire le bilan de la mauvaise stratégie qui a conduit à l’impasse actuelle et de proposer un programme anti-capitaliste alternatif.

Pour un programme alternatif: une rupture anticapitaliste avec l’Union européenne et l’euro

Si Tsipras a enterré clairement la volonté du peuple exprimée lors du référendum, la simple référence à la « trahison » ne rend pas compte vraiment du phénomène réel de Syriza. La situation actuelle n’est pas le résultat de la « malhonnêteté » de Tsipras ou de la direction de Syriza, mais le résultat logique d’une stratégie politique que cette formation a défendue depuis le début.

Lorsqu’elle a pris le pouvoir en janvier de cette année, Syriza a promis la quadrature du cercle: rompre avec l’austérité sans rompre avec l’euro et l’Union Européenne. Basé sur une croyance que Stathis Kouvelakis définit comme « quasi religieuse » sur le caractère positif en soi des institutions européennes, ou au moins sur la possibilité d’améliorer la situation dans le cadre strict de celles-ci, la direction de Syriza a entrepris le long chemin des négociations qui, en l’absence d’un programme alternatif de rupture, ont donné lieu à concession après concession pour arriver jusqu’à l’accord actuel.

En effet, la crise grecque a montré aiguëment, les limites infranchissables de la  « gauche européiste » (au sens de la gauche qui considère l’Union européenne actuelle comme objectivement progressive ou en tout cas comme un terrain « neutre » où il est possible de parvenir à des « compromis bénéfiques ») et de son illusion dans le « bon euro ». L’Union Européenne d’aujourd’hui est une construction du capital impérialiste, principalement allemand et français qui ont mis au point un modèle économique basé sur un marché commun qui consacre et approfondit une division centre/périphérie où les pays comme la Grèce payent les conséquences d’une monnaie forte qui favorise les pays les plus développés; tout d’abord l’Allemagne.

C’est pourquoi le rejet de toute mesure de rupture avec l’Union Européenne et l’euro ne pouvaient que conduire à la situation actuelle: l’acceptation des mesures d’austérité plus sévères que celles imposées par le PASOK et la Nouvelle Démocratie, au nom d’avoir éloigné le « cauchemar » du Grexit (rupture avec l’euro et l’Union européenne) et de continuer dans la zone monétaire commune.

Au lieu du « espace de négociation » où pourraient être atteints des  « accords mutuellement avantageux » avec lequel rêvait la direction de Syriza, l’Union européenne a montré son vrai visage: une institution au service des bourgeoisies impérialistes, qui n’ont pas hésité à imposer à la Grèce un plan qui la plongera économiquement pour les prochaines années et qui ne résout même pas du point de vue capitaliste sa crise. On essaie ainsi de maintenir un régime de domination régional favorable aux pays centraux et terroriser tous ceux qui osent mettre en question l’austérité.

Pour cette raison, il est nécessaire de tirer les conclusions programmatiques de cette faillite du réformisme  « pro-européiste » et défendre de façon claire la perspective d’un Grexit anti-capitaliste. En effet, il a été démontré qu’aucune issue positive pour les travailleurs ne peut être obtenue dans le cadre de l’Union Européenne et l’euro. Il ne s’agit pas d’une position abstraite ou dogmatique sur la monnaie unique, mais du bilan de l’expérience de ces derniers mois.

Au fur et à mesure que la confrontation avec le gouvernement se développe, la perspective d’une Grexit par la gauche devient de plus en plus forte. Et ce sera très probablement la ligne de démarcation programmatique dans la prochaine période contre la faillite de la direction de Syriza. C’est pourquoi Antarsya a défendu depuis longtemps, la perspective d’une rupture anticapitaliste avec l’Union Européenne et l’euro, et que la Plate-forme de Gauche de Syriza avance cette perspective comme une alternative à la capitulation de la majorité de Syriza.

La rupture avec l’euro n’est pas une solution magique en soi. Elle doit être accompagnée d’une série de mesures anti-capitalistes qui ouvrent vraiment la perspective de transformation sociale au service de la classe ouvrière. En ce sens, il faut se battre pour la nationalisation des banques, de la circulation des devises étrangères et du commerce extérieur, ainsi que des secteurs clés de l’économie. C’est le seul moyen d’empêcher qu’un Grexit se retourne contre la classe ouvrière elle-même.

La question du pouvoir

Un autre élément qui commence à apparaître, bien qu’il soit toujours en arrière-plan, est la question du pouvoir. Lorsque le gouvernement de Syriza se dirigeait vers le gouvernement en Grèce, nous signalions que, en plus de le faire dans une situation économique mondiale infiniment moins favorable que celle des gouvernements  « progressistes » latino-américains, il le faisait avec des bases structurales beaucoup plus faibles.

En effet, le chavisme s’est appuyé sur un secteur de l’armée et, ensuite, dans un mouvement des masses organisé; Evo Morales était dirigeant paysan et de masses avant de gouverner, ainsi que membre des peuples autochtones; même Lula s’appuyait sur un grand parti comme le PT et la principale centrale ouvrière, la CUT, produits de grands combats et d’une recomposition politique phénoménale de la classe ouvrière brésilienne après la chute de la dernière dictature. En Argentine, le kirchnerisme a capitalisé une explosion sociale qui a renversé un président et a développé par le bas un vaste mouvement organique.

Le gouvernement de Tsipras, sur quoi est-ce qu’il s’appuyait? Sur une simple victoire parlementaire d’un parti dont l’influence dans le mouvement ouvrier est inférieure à celle du KKE (PC grec)…

Cette faiblesse a été multipliée à l’infini contre les « mastodontes » de l’Union européenne. Face au grand capital, sa capacité à definancer l’économie grecque (limitant la liquidité donnée par la Banque Centrale Européenne), le pouvoir concentré dans les médias, de la bourgeoisie locale, de pratiquement toute la classe politique, Tsipras et la direction de Syriza ont eu peu de résistance à offrir. En outre, depuis le début, la ligne de Tsipras a été de ne pas mobiliser. Ainsi il réfusait lui-même la possibilité de construire une force organique de masses comme celles dans lesquelles les gouvernements latino-américains « progressistes » s’appuyaient.

Comme nous l’avons dit, la situation actuelle n’est que le résultat attendu du rejet de mettre en place toute mesure structurelle de la part du gouvernement grec et par conséquent de s’appuyer sur la mobilisation des masses.

C’est pourquoi il faut tirer une conclusion claire: dans le combat contre le grand capital international et  la bourgeoisie locale, il n’y a aucun vote, référendum ou Parlement qui soit suffisant. Bien sûr, ces éléments peuvent être des points d’appui secondaires, qui, dans certaines conditions, peuvent favoriser la mobilisation des masses, comme aurait été la victoire du NON lors du référendum en cas d’avoir être exploité révolutionnairement.

Mais en fin de compte, ce qui est essentiel est la capacité à construire un contre-pouvoir assez forte pour faire face au pouvoir du capital, un pouvoir qui ne peut s’appuyer que dans la plus grande organisation et mobilisation indépendante de la classe ouvrière.

Sans doute, dans une période historique où la démocratie bourgeoise reste le lieu par excellence de résolution des problèmes -et même le « antidote » pour des situations, telles que les rébellions arabes, qui la dépassent largement-, parler de double pouvoir peut sembler exagéré. Cependant, c’est l’une des leçons fondamentales de la crise grecque: notre ennemi a d’énormes moyens à sa disposition et va les faire entrer en jeu. On doit répondre avec une force structurelle et une organisation comparables. D’autre part, l’approfondissement de la crise politique pourrait accélérer  la situation et ouvrir une période de combats bien plus durs entre les classes.

Pour défendre le programme de rupture anticapitaliste avec l’Union Européenne et l’euro, pour avancer dans la socialisation des moyens de production, pour promouvoir une organisation par en bas qui s’oppose et remplace le pouvoir de l’État et de la bourgeoisie, il faut également construire une organisation révolutionnaire qui défende ce point de vue.

Les expériences politiques autour de la lutte du référendum, la clarification programmatique autour de la question de l’Union Européenne et l’euro, le tremblement de terre qui a signifié la capitulation de la direction de Syriza et la « rébellion » au sein du parti qui commence à se développer sont la base matérielle pour battre pour une recomposition politique révolutionnaire, à la gauche de Syriza, qui se nourrisse du  meilleur de l’expérience de l’avant-garde de ces années de lutte et défende la perspective du pouvoir ouvrier et du socialisme.

_____________________________

[1] Interview avec Manos Skoufoglou: http://anticapitalisme-et-revolution.blogspot.com.ar/2015/07/grece-qui-continue-dapporter-un-soutien.html

Par Ale Vinet, le 15/07/15

Categoría: Français Etiquetas: ,