Oct - 21 - 2015

Le 27 juillet on écrivait dans le journal Socialisme ou Barbarie qu’Erdogan, le président de la Turquie, « déclare la guerre à la gauche et au peuple kurde » [[1]]. A cette époque, la nouvelle dans les journaux était que l’Etat turc lançait une offensive contre l’État Islamique. Nous dénoncions que le véritable but de l’offensive n’était pas l’Etat Islamique mais la population kurde et les organisations de gauche.

Cette caractérisation a été clairement confirmée. Ces derniers mois ont été marqués par la sanguinaire offensive militaire que l’État turc a menée dans les zones dominées par les Kurdes. Des populations entières ont été soumises à l’état de siège par les Forces Armées. Des dizaines de citoyens kurdes ont été exécutés par la police dans les quatre coins du pays, et des milliers ont été emprisonnés. Les soi-disant bombardements contre des positions de la guérilla kurde du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), ont fait également des centaines de morts. L’État Islamique, cependant, n’a pas été touché. Aucun des positions de l’Etat Islamique n’a été attaqué. Aucune cellule terroriste n’a été démantelé.

Nous avions dit dans cet article que ce qui a motivé la guerre contre les kurdes est le profond problème que la montée des kurdes et de la gauche signifie pour le parti turc au pouvoir (AKP, Parti de la Justice et du Développement, organisation islamiste et libérale dirigé par Erdogan).

Le succès des kurdes de la Syrie en Kobane et dans le nord du pays contre l’État Islamique a retenu l’attention du monde entier. Au sein de la Turquie elle-même, le parti de gauche pro-kurde Parti Démocratique des Peuples (HDP de par son acronyme) a obtenu lors des élections législatives de juin cette année un résonnant 13 pour cent des voix. Ce résultat donnait non seulement une expression à la lutte pour l’autodétermination des kurdes, mais aussi au mécontentement de larges secteurs populaires contre la politique d’Erdogan. C’était aussi un sous-produit de la rébellion populaire de Gezi Park en 2013.

Les importants résultats de l’HDP lors des élections de juin ont également entraîné une conséquence d’une grande importance pour la politique turque: ils ont privé le parti au pouvoir, l’AKP, de la majorité absolue [[2]] au Parlement. De cette façon, l’AKP ne pouvait pas former un gouvernement à nouveau par ses propres moyens: il avait besoin d’un partenaire qu’il n’a pas pu trouver.

Dans le même temps, l’intention du gouvernement de mettre en place un régime présidentialiste qui donnerait des pouvoirs autocratiques à Erdogan échouait. Tout cela a conduit à l’appel à un nouveau tour d’élections législatives, qui aura lieu le 1er novembre de cette année.

C’est précisément le nœud du problème pour le gouvernement turc: il avait besoin d’obtenir la majorité absolue en novembre, celle qu’il n’a pas pu obtenir en juin. Et la seule façon d’y parvenir est de faire en sorte que la gauche kurde soit exclue du parlement.

Pour cela il suffirait avec l’une des options suivantes: 1) Réussir que le groupe HDP obtienne moins de 10 % des voix (dans ce cas le régime politique ultra-restrictive turc leur laisserait sans sièges parlementaires) ; 2) Proscrire de manière directe le HDP en lui désignant comme une « organisation terroriste », ou avec des manœuvres juridiques, l’amener à se retirer de la course électorale; 3) ou bien, plus radicalement, l’écraser militairement avec les méthodes de la guerre civile.

Quelconque de ces options exigeraient que le gouvernement turc lance des grandes provocations contre le HDP et les kurdes en général. C’est précisément ce qui a commencé à se produire à la fin de juillet de cette année, avec les attentats brutaux de Suruc. Là, des attaquants de l’État Islamique (ou moins c’est ce que l’on pense), ont fait exploser des volontaires internationaux qui se sont rendus pour aider les victimes de Kobane. Puis les offensives militaires de l’Etat turc contre les guérilleros kurdes du PKK et les populations kurdes en général ont commencé, ainsi que les campagnes d’arrestations dans tout le pays et la répression systématique des manifestations.

Tout ceci n’a pas été suffisant pour atteindre les objectifs du parti islamiste au gouvernement. Il a commencé une campagne d’incitation à la haine à partir de tous les niveaux de l’État, de l’appareil de l’AKP et aussi des médias. Cela a eu son climax dans les nuits du 7 et 8 septembre, où des groupes fascistes (composés de partis d’ultra droite, des membres de l’AKP et des citoyens exaltés par la propagande) ont détruit et brûlé 300 locaux du HDP dans tout le pays. C’est-à-dire: l’Etat turc a appliqué une politique de répression violente de la gauche kurde, avec des méthodes fascistes.

Toutefois, même avec cette politique ils n’ont pas réussi à réduire l’intention de vote pour le HDP. Les sondages donnaient les mêmes résultats qu’en juin, ou même une augmentation du nombre pourcentage. A trois semaines de la réalisation de l’élection de novembre, la guérilla kurde du PKK avait pris la décision d’annoncer un cessez-le-feu unilatéral, dans le but de contribuer à ce que les élections puissent se dérouler normalement. Et encore plus: les syndicats, le HDP et d’autres organisations politiques avaient convoqué le 10 octobre à une mobilisation massive pour la paix, dénonçant la politique de guerre d’Erdogan. Toutes les manœuvres du gouvernement islamiste semblaient battues.

C’est précisément ce qui explique politiquement l’attentat brutal du 10 octobre contre la mobilisation pour la paix. Deux bombes ont explosé dans une mobilisation de dizaines ou de centaines de milliers de personnes, faisant 130 morts et 400 blessés. Les auteurs de l’attentat appartiennent, selon les médias, à l’État islamique. Cela est possible, mais dans tous les cas, les auteurs matériels ont agi comme exécuteurs de la politique d’Erdogan, sous la complicité des services secrets d’Erdogan et dans un climat d’instigation généré par Erdogan.

Erdogan, le vrai « Calife » de l’État Islamique (avec la bénédiction de l’OTAN?)

Depuis le début de la guerre civile syrienne, Erdogan finance et donne de l’armement à l’État Islamique, en lui donnant le territoire turc comme une base d’opérations, en lui donnant pleine liberté de mouvement sur la frontière. Il est impossible que tout ceci s’effectue sans des dizaines ou des centaines de cellules de l’EI à l’intérieur de la Turquie. Les services secrets turcs ont facilité cette installation, sous les ordres d’Erdogan. Et tout cela, en même temps, avec la complicité pleine de l’OTAN, organisation à laquelle appartient la Turquie… qui lui a laissé faire…

Lorsque l’État Islamique a commencé le siège aux kurdes de Kobane, Erdogan l’a facilité en fermant ses frontières aux kurdes. Les médias turcs disaient en ce moment que les YPG-YPJ (les guérillas kurdes qui défendaient Kobane) étaient aussi terroristes que l’État Islamique et que donc « ils ne pouvaient soutenir aucun des deux » (la même position qu’ils défendent aujourd’hui).

Après les récents triomphes kurdes contre l’Etat Islamique en Syrie, l’État turc a donné un ultimatum aux YPG-YPJ: qu’ils n’osent pas traverser l’Euphrate pour vaincre l’Etat Islamique de l’autre côté du fleuve (et lui arracher le dernier point de passage avec la Turquie), car sinon la propre armée turque commencerait à bombarder les YPG-YPJ.

Pendant l’année 2015 en Turquie ont été menés trois attentats brutaux contre les kurdes et la gauche, avec le même « modus operandi »: Diyarbakir, Suruc, Ankara. Dans aucun des trois cas l’Etat turc n’a emprisonné aucun responsable ni a démantelé un réseau terroriste. Au contraire, les images des « raids » contre l’Etat Islamique montrent une curieuse coïncidence: les terroristes ne sont jamais menottés.

Même immédiatement après l’attentat brutal à Ankara, la police turque a réprimé les blessés. Les dirigeants du parti au pouvoir AKP ont utilisé leurs interventions dans la télévision pour continuer à attaquer le parti HDP et les kurdes. Leur complicité avec le vrai terrorisme ne peut pas être plus évidente.

Ce qu’on voit alors, c’est une politique systématique de soutien de la part de l’Etat turc à l’État Islamique. Le « califat » devient un instrument des objectifs de la politique étrangère et intérieure d’Erdogan. Ce sont ses propres « groupes de choc » fascistes. Toute la politique de l’OTAN de bombarder l’Etat Islamique en Syrie et en Irak est hypocrite à partir du moment où ils sont complices avec son installation sur le territoire turc.

Dehors Erdogan! Grève générale et intervention populaire

Les syndicats ont appelé à une grève générale de 48 heures pour condamner l’attentat brutal d’Ankara. Aussi des mobilisations massives sont en cours. Travailleurs et étudiants à travers tout le pays sont à l’avant-garde de la dénonciation du régime criminel d’Erdogan.

C’est précisément la voie nécessaire pour vaincre le fascisme en Turquie: la mobilisation des masses, l’émergence sur la scène avec toute la force de la classe ouvrière, de la jeunesse, du mouvement des femmes, des kurdes et de toutes les minorités opprimées par le régime.

Il est nécessaire de construire une forte mobilisation populaire qui paralyse le pays d’un bout à l’autre, comme ce qui a renversé le dictateur Mubarak en Egypte en 2011. C’est cette perspective que le courant Socialisme ou Barbarie défend pour la Turquie.

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[1].- « Erdogan déclare la guerre à la population kurde et à la gauche », Par Ale Kur, pour Socialisme ou Barbarie, 26/07/2015 (http://www.socialismo-o-barbarie.org/?p=5661)

[2].- « Elections en Turquie – Important score de la gauche kurde et recul d’Erdogan », Par Ale Kur, Socialisme ou Barbarie, 11/6/15 (http://www.socialismo-o-barbarie.org/?p=5260)

Par Ale Kur, Socialisme ou Barbarie, 15/10/15

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