L’une des premières mesures prises par le gouvernement après les attentats du 13 novembre a été la mise en œuvre de l’état d’urgence, une mesure exceptionnelle créée durant la guerre d’Algérie qui donne une série de pouvoirs exceptionnels au gouvernement et à l’appareil répressif.
Parmi ces pouvoirs figure celui d’empêcher la réalisation de manifestations (qui légalement doivent être autorisées par la préfecture de police, même en « temps normal »). Le gouvernement a décidé dans ce sens interdire la manifestation en soutien aux réfugiés du 22 novembre, ainsi que les manifestations prévues au cours de la Conférence sur le climat COP21, du 29 novembre et du 12 décembre.
Mais ce virage répressif du gouvernement est loin de passer sans résistance. Malgré l’interdiction de manifester, le climat nauséabond d’Union nationale qui essaie de faire taire toute voix alternative, une série d’organisations ont maintenu l’appel à descendre dans les rues. C’est sur ces expériences concrètes qui vont commencer à se voir les portées et les limites du virage répressif du gouvernement, et c’est sur ce terrain que nous devons le résister.
Un régime au service de la répression des mouvements sociaux
Si le discours officiel est que les mesures exceptionnelles visent à « combattre le terrorisme », le gouvernement a rapidement montré son vrai visage à cet égard. Non seulement parce qu’aucune mesure purement répressive-militaire ne réussira à arrêter certaines organisations réactionnaires que la propre guerre impérialiste dans la région nourrit chaque jour (et que des gouvernements membres de l’OTAN comme la Turquie financent par le biais de l’achat du pétrole extrait dans les territoires contrôlés par l’Etat Islamique).
Non seulement parce que tout le déploiement répressif qui a suivi les attaques contre Charlie Hebdo (renforcement de la présence policière et militaire, approbation de lois répressives) n’a pas empêché la réalisation des attaques réactionnaires du 13 novembre. Mais surtout parce que, même de façon plus claire et énergique qu’après les attaques sur Charlie Hebdo, ce nouvel arsenal répressif a été rapidement utilisé contre les secteurs mobilisés.
Bien sûr, la « menace terroriste » n’a pas mené à l’interdiction des grands spectacles sportifs ou commerciaux tels que les Marchés de Noël qui rassemblent des dizaines ou des centaines de milliers de personnes: quand il y a des profits monétaires, la « sécurité » passe rapidement au second plan.
Mais comme nous l’avons dit, l’état d’urgence a été utilisé automatiquement pour empêcher les manifestations sociales. Des centaines ou des milliers de policiers et de gendarmes ont été déployés pour « protéger la population » des dangereux manifestants de gauche ou écologistes… Autres mesures exceptionnelles ont également été utilisés contre les militants de gauche: certains ont été assignés à résidence, dont un membre de l’équipe juridique de la Coalition Climat, qui réunit plus de 130 organisations autour des mobilisations autour de la COP21. Des perquisitions ont été effectuées dans les maisons de militants zadistes et même chez… des agriculteurs « bio ».
Comme on le voit, loin de combattre le « terrorisme », l’état d’urgence est utilisé pour réprimer les manifestations et l’extrême gauche, tentant d’empêcher toute résistance à la guerre, l’Union nationale ou d’autres types de questions telles que l’écologie ou les luttes ouvrières. En ce sens, la répression de la mobilisation du dimanche 29 montre le virage autoritaire du gouvernement.
Isoler et frapper l’extrême gauche
La mobilisation en soutien aux réfugiés du 22 novembre s’est relativement « bien terminée ». Malgré son interdiction, elle a été maintenue et il a été possible de faire un rassemblement à place de la Bastille sans problèmes avec la police. Cependant, un groupe de manifestants qui a décidé de maintenir le projet original et s’est mobilisé à la place de la République a eu des échauffourées avec la police: quelques gaz lacrymogènes et des basculades, mais aucune arrestation. Cependant, 58 personnes ont été convoquées par la police dans les jours qui ont suivi, même si pour l’instant, il n’y a eu aucune poursuite judiciaire.
La mobilisation du 29 novembre a été qualitativement différente. Après avoir vu son état d’urgence contesté, le gouvernement a décidé d’envoyer un clair message que quand il dit NON, c’est NON. C’est pour cela qu’il a mis en place une opération politique, médiatique et répressive afin d’isoler et frapper à ceux qui s’opposent depuis le début à sa politique de guerre et de répression, bravant dans les rues l’interdiction de manifester.
Le gouvernement a laissé faire une « Chaîne humaine » qui devait avoir lieu entre Bastille et République, qui avait un ton moins radical: il n’y a eu aucun affrontement avec la police ni des personnes arrêtées. Mais à la fin de celle-ci, un secteur s’est dirigé vers République pour protester, mobilisation à laquelle appelaient des organisations d’extrême-gauche comme le NPA, Alternative Libertaire et d’autres groupes.
Dans ce moment l’opération a été déclenchée. S’appuyant sur les actions de groupes « autonomes » qui se sont affrontés avec la police, le gouvernement a déclenché une opération politique et dans les médias: « nous savions qu’il y aurait des éléments « troublants » infiltrés parmi les manifestants pacifiques »; discours qui a inclut aussi l’accusation que les manifestants avaient profané « le mémorial » que les gens avaient spontanément construit en hommage aux victimes des attentats, en utilisant de pots de fleurs et de bougies pour les lancer à la police. Ainsi, en parallèle à cette opération médiatique-politique, la police a brutalement réprimée les manifestants.
C’est dans ce contexte que les arrestations ont commencé à être réalisées. Un cortège de manifestants organisés par le NPA, Alternative Libertaire et Ensemble a été encerclé par les CRS, retenu pendant des heures et les participants ont été arrêtés petit à petit tout au long de l’après-midi. Au total, il y a eu 341 personnes arrêtées, dont 316 ont été en garde à vue pendant 24 heures (le reste ont été libérés après un « contrôle d’identité »).
Il est clair qu’il y a eu une volonté politique de viser et de frapper les organisations d’extrême-gauche, en particulier le NPA, qui défient dès le début le virage répressif du gouvernement dans les rues. Cela passe en partie par la construction d’un discours qui sépare les « bons » des « mauvais » manifestants, centré dans une campagne médiatique de diffamation contre « les violents ». Pour l’instant il n’y a eu aucune accusation judiciaire pour la grande majorité des camarades [un manifestant a été condamné à trois mois de prison ferme et une autre à une amende de 1000 euros, après avoir passé en comparution immédiate] qui ont subi la garde à vue, mais il ne faut pas écarter la possibilité que le gouvernement essaie dans les semaines ou les mois à venir de poursuivre en justice les manifestants pour en faire un « exemple ».
Le gouvernement a sans aucun doute décidé de donner important coup répressif ce dimanche. Il ne faut pas minimiser son impact: plus de 300 camarades en garde à vue est un chiffre non négligeable, outre la continuité judiciaire que le gouvernement peut mettre en place et que ces camarades sont « grillés » en cas de participer à des manifestations interdites à l’avenir.
Mais le bilan ne peut pas perdre de vue qu’une brèche peut s’ouvrir: que l’état d’urgence n’a pas empêché que nous prenions les rues et il y a un terrain politique sur lequel lutter contre le virage répressif du gouvernement.
Continuer à prendre les rues et développer une vaste campagne contre la répression
Un des points centraux du bilan est que ces dernières semaines nous avons réussi à braver l’état d’urgence, à continuer à nous manifester malgré la volonté du gouvernement. L’ouverture de la COP21, important pari politique du gouvernement d’Hollande, a été objectivement marquée par les manifestations et la répression: c’est un fait que tous les grands médias ont reflété que les gens sortaient dans les rues et le gouvernement a dû rendre compte de cela.
À un niveau large, le discours sur les « éléments troublant » semble avoir eu un bon effet, sur la base du climat de « Union nationale » et d’utiliser cyniquement l’émotion suscitée par les attentats pour attaquer les manifestants. Toutefois, par en bas des secteurs importants commencent à se poser des questions et à remettre en cause l’état actuel des choses. Deux lycées, Maupassant à Colombes et Henri Barbusse à Saint-Denis, ont fait grève à 100 % lundi matin, exigeant la libération des enseignants de ces établissements arrêtés lors de la manifestation du dimanche. En plus des communiqués des organisations politiques qui avaient des personnes arrêtées dans leurs rangs, diverses organisations et syndicats ont réalisé communiqués répudiant la répression et exigeant la libération des détenus.
Par en bas, sur les lieux de travail, dans les écoles et dans les quartiers, nous devons mener un combat politique pour expliquer quel est le but réel de l’état d’urgence, une tâche pour laquelle la réalité nous donne de plus en plus des éléments: réprimer et faire taire ceux qui luttent et s’opposent aux mesures liberticides du gouvernement. Il y a un espace pour effectuer une large campagne contre la répression, pour s’assurer qu’il n’y ait aucune poursuite judiciaire des détenus et pour assurer notre droit de manifester.
Parallèlement à cela, il est impératif de continuer à occuper les rues, de continuer à faire face à la politique du gouvernement d’interdire les manifestations. Dans la situation actuelle, il est plus que jamais nécessaire d’opposer une voix alternative au chœur des politiciens et des médias bourgeois qui se dédient à discréditer les manifestants et à mener une politique impérialiste, anti-ouvrière et antipopulaire. Car en plus de la défense des libertés démocratiques, il est nécessaire dans la situation actuelle de miser sur la construction d’un vaste mouvement antiguerre, contre les interventions impérialistes, contre les mesures antisociales qui continuent de détruire les travailleurs et les classes laborieuses. C’est l’unique issue progressive à la situation de guerre, de misère et de destruction qu’imposent les gouvernements et les capitalistes européens.
Les points d’appui sont encore limités, mais peuvent continuer à se développer et à s’étendre au fur et à mesure que la situation se développe et la tâche essentielle des révolutionnaires est de défendre une alternative à la politique du gouvernement. C’est pourquoi il faut continuer à braver l’état d’urgence, construisant un rapport de forces dans les rues qui permettra de faire face au virage répressif du gouvernement et proposer une issue au service des travailleurs et du peuple français, au service de tous les peuples opprimés du monde.
Par Alejandro Vinet, le 02/12/15