Euro
: les causes d'une tempête qui n'en finit plus
Défaut
de la Grèce :
"cette option n’est désormais
plus exclue"
Par
Cécile Prudhomme et Marie de Vergès
Le
Monde, 13/07/11
La
zone euro est engagée dans une nouvelle semaine à très
haut risque, à l’approche de la publication des tests de
résistance des banques, vendredi 15 juillet. Alors que les
dégradations brutales de notes, comme celle infligée,
mardi, à l’Irlande par l’agence Moody’s, rappellent
l’extrême fragilité de certains Etats, la lenteur des
Européens à trouver des solutions à la crise est
sanctionnée par les marchés. La réunion des ministres des
finances européens lundi 11 et mardi 12 juillet s’est
conclue sur un constat d’échec.
Pourquoi
cette nouvelle vague de panique ?
La
situation préoccupante de certains Etats, conjuguée à
l’incapacité des Européens à s’entendre sur les
modalités d’un nouveau plan d’aide à la Grèce, ont
rallumé l’étincelle.
Alors
que tous les regards étaient tournés vers Athènes, la décision
de Moody’s, le 6 juillet, de dégrader brutalement la note
du Portugal, a relancé l’effet domino. Les autres pays
vulnérables de la zone euro se sont rappelés au souvenir
des investisseurs.
L’Italie,
qui souffre d’instabilité politique, est désormais sous
pression. Or, si la troisième économie de l’union monétaire
venait à vaciller, c’est l’euro dans son ensemble qui
serait menacé.
Chacun
sait que les mécanismes de sauvetage mis en place par l’Europe
depuis le printemps 2010 seraient très insuffisants pour
venir en aide à un pays dont la dette représente plus que
celles de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande réunies.
L’Espagne, dont le secteur financier est jugé fragile,
est aussi dans la ligne de mire des marchés.
Dans
cette atmosphère tendue, l’indécision et les désaccords
des responsables européens jettent de l’huile sur le feu.
L’issue des négociations sur un nouveau sauvetage d’Athènes
est plus floue que jamais.
Pourquoi
les négociations sont-elles bloquées ?
Le
principal point d’achoppement concerne la participation
des créanciers privés (banques, compagnies d’assurances,
gestionnaires de fonds) à un renflouement de la Grèce.
Les
Allemands et les Néerlandais l’exigent, quitte à
envisager un défaut. Une option que refuse catégoriquement
la Banque centrale européenne (BCE), inquiète de voir s’enclencher
un mécanisme de contagion incontrôlable. La France, quant
à elle, a été échaudée de voir la proposition émanant
de ses banques recalée par les agences de notation et se
fait discrète.
Dans
l’incapacité de rapprocher leurs vues, les Européens
rouvrent de vieux dossiers : réforme du Fonds européen de
stabilité européen (FESF), adopté au printemps 2010,
allongement de la durée des prêts bilatéraux des Etats
européens à la Grèce… Chaque sommet se conclut sur l’annonce
d’une nouvelle réunion de crise.
Pourquoi
les banques chutent-elles en Bourse ?
Les
investisseurs craignent les effets sur les banques d’un défaut
grec et, pire encore, d’une contagion à l’Espagne et à
l’Italie qui signerait le déclenchement d’une crise
systémique de la zone euro.
L’approche
de la publication des tests de résistance bancaires (stress
test), vendredi 15 juillet, accentue le climat anxiogène
autour du secteur financier. Cette opération vérité est
censée évaluer la capacité des établissements à
encaisser des chocs, excepté celui, "politiquement
sensible", d’une faillite de la Grèce.
Les
pays de l’Union européenne devraient annoncer dans la
foulée, vendredi, qu’ils soutiendront les banques ayant
échoué à ces tests dans le cas où elles ne pourraient
pas lever des capitaux. Mais où les Etats trouveront-ils
les fonds pour recapitaliser leurs banques, alors qu’ils
doivent déjà soutenir la Grèce, l’Irlande et le
Portugal ?
Quelles
sont les banques les plus vulnérables ?
Concernant
la Grèce, les banques françaises et allemandes sont les
plus exposées d’Europe. Selon la banque des règlements
internationaux (BRI), les établissements français et
allemands détenaient respectivement 14,9 milliards de
dollars (10,6 milliards d’euros) et 22,7 milliards de
dollars de dette grecque à la fin 2010.
En
France, la Société générale a avoué détenir 2,5
milliards d’euros de dette souveraine. Chez BNP Paribas,
cette exposition s’élevait à 5 milliards d’euros à la
fin du mois de mars. Mais ces chiffres ne tiennent pas
compte de l’impact d’une crise plus large sur l’économie
grecque. La situation de Dexia, toujours mal remise de la
crise financière, inquiète en haut lieu.
Se
pose désormais la question des effets d’une contagion à
l’Italie. Là aussi, les banques françaises et allemandes
font partie des établissements les plus sensibles. Selon la
BRI, les banques françaises étaient exposées fin 2010 à
hauteur de 392,6 milliards de dollars (280 milliards
d’euros) à la Péninsule, dont 97,6 milliards de dollars
au secteur public (Etat compris). Les allemandes ont quant
à elles une exposition totale de 162,3 milliards de dollars,
dont 51,2 milliards de dollars en dette du secteur public
italien.
Un
défaut de la Grèce est-il inéluctable ?
C’est
le scénario noir que l’Europe semblait vouloir éviter
depuis plusieurs semaines. Mais selon le ministre néerlandais
des finances Jan Kees de Jager, mardi, à Bruxelles, "cette
option n’est désormais plus exclue".
D’un
point de vue économique, la situation de la Grèce, qui a
des difficultés structurelles à dégager des recettes
fiscales pour résorber ses déficits, n’est pas viable,
malgré toute l’aide qui pourrait lui être apportée.
La
notion de défaut reste néanmoins assez floue : doit-il être
décidé par le pays concerné, doit-il reposer sur le
jugement d’une agence de notation ou encore d’une
organisation de marchés comme l’ISDA (International Swaps
and Derivatives Association), qui a le pouvoir de déclencher
le paiement des contrats CDS (credit default swaps), ces
actifs permettant notamment de se prémunir contre le risque
de défaut d’un Etat.
Les
dirigeants européens espèrent en tout cas trouver une
solution avant le 15 septembre, date à laquelle la sixième
tranche du prêt de 110 milliards d’euros consenti en mai
2010 par la zone euro et le Fonds monétaire international
(FMI) doit être versée.
Berlin freine
la convocation d'un sommet européen
extraordinaire sur la
Grèce
Le
Monde, 13/07/11
Il
n'y a pas "de projet concret de sommet"
extraordinaire de la zone euro sur la Grèce, comme le réclament
le président de l'Union européenne et la France, a déclaré
mercredi 13 juillet une porte-parole du gouvernement
allemand lors d'une conférence de presse. "L'important
est que les travaux sur la Grèce soient poursuivis à un
rythme soutenu par les ministres des finances",
a-t-elle ajouté.
Selon
des sources diplomatiques, une réunion extraordinaire de
l'Eurogroupe était annoncée pour vendredi. "Aujourd'hui,
rien n'est définitivement calé, mais il y a une volonté
claire de tous les partenaires de l'Eurogroupe d'aboutir à
la solution la plus efficace le plus rapidement possible",
a précisé la ministre du budget française, Valérie Pécresse.
Le pays est financé "jusqu'à la
mi-septembre"
Le
porte-parole du ministère des finances allemand a, lui, déclaré
qu'il fallait travailler à une solution pour la Grèce
"intensément mais sans panique", faisant valoir
que le pays était financé "jusqu'à la mi-septembre".
Il a par ailleurs émis une opinion plus souple que celle défendue
jusqu'ici par Berlin sur le possible rachat avec des fonds
européens d'obligations d'un pays en difficulté.
Le
fonds de secours international en place en zone euro (FESF)
prévoit pour un pays la "possibilité théorique"
de racheter ses propres obligations grâce à l'aide
internationale, a déclaré le porte-parole du ministère
des finances. Cette option, qui permettrait à Athènes de
souffler et de réduire une dette pesant 160 % de la
richesse du pays, était jusqu'ici taboue pour l'Allemagne.
Il
a toutefois répété la volonté allemande de faire
participer le secteur financier privé au sauvetage de la Grèce,
jugeant "intéressante" l'option d'une
restructuration radicale de la dette grecque avancée par le
patron de la banque allemande Commerzbank, Martin Blessing.
Celui-ci propose que les banques échangent les titres de
dette grecque qu'elle détiennent contre de nouvelles
obligations à3 plus longue échéance. Selon Martin Blessing,
les banques seraient prêtes à essuyer des pertes lourdes
sur les anciens titres, à condition que les nouveaux soient
garantis par les Etats.
Karine Berger
(*) :
Pourquoi
l'Italie est-elle attaquée par la spéculation ?
Propos
recueillis par Alain Faujas
Le
Monde, 13/07/11
Pourquoi l'Italie est-elle attaquée ?
Karine
Berger : Dans le tumulte du débat sur la dette publique en
Europe, on a sous-estimé la situation macroéconomique des
pays concernés. Si l'on compare la croissance de leurs
produits intérieurs bruts (PIB) au premier trimestre 2011
et au premier trimestre 2008, on constate que le Portugal a
décroché de 12 %, la Grèce de 9 %, le Japon de 6 %,
l'Italie de 5 %, le Royaume-Uni de 4 % et l'Espagne de 4 %.
L'économie
italienne est en contraction, et cela commence à se voir.
Elle affronte un choc économique qu'elle n'est pas en état
de digérer. Les marchés se focalisent non sur sa dette,
mais sur son PIB.
A
cela s'ajoute qu'en 2005 Silvio Berlusconi a été le
premier à envisager une sortie de la zone euro. Ce souvenir
est resté dans les têtes. Enfin, les finances publiques de
l'Italie sont très dégradées, et sa dette très
attaquable.
L'Italie peut-elle s'en sortir ?
Je
n'ai jamais rien compris à la politique économique de
M.Berlusconi face à la crise. Quoi qu'on en pense, la
politique d'austérité de la France est claire et crédible,
parce que la reprise y est réelle. En revanche, en Italie,
l'austérité ne suffira manifestement pas. Ce pays a un
problème de crédibilité politique.
Quelle est la prochaine cible des marchés
?
Personne
n'en parle, mais le Royaume-Uni a tendu un rideau de fumée
baptisé, là encore, "plan d'austérité". Pour réussir,
celui-ci suppose 3 % de croissance qui ne seront pas au
rendez-vous cette année. Si nous demeurons dans l'état
d'apesanteur que nous connaissons, les prochains sur la
liste des cibles pourraient donc être le Royaume-Uni et
l'Espagne.
La
faiblesse politique de l'Union européenne contribue-t-elle
à la multiplication de ces attaques ?
Les
marchés ont attaqué parce que l'Union économique est en
état d'échec total depuis deux ans. Si l'Europe avait signé
alors un chèque pour régler le problème grec, nous ne
nous trouverions pas en proie à la folie actuelle.
L'Allemagne est dans sa logique ; en revanche, je ne
comprends rien à la proposition française, qui suppose
l'absence de défaut, mais après ? Mettez-vous à la place
de l'investisseur de Hong Kong. Informé de loin par le
Financial Times, il comprend seulement que c'est la pagaille
en Europe et il s'enfuit.
Comment analysez-vous la position de la
Banque centrale européenne ?
Elle
ne veut pas revivre toute seule une nouvelle affaire Lehman
Brothers et financer un marché interbancaire menacé
d'apoplexie sans le secours des autres banques centrales.
Mais il va bien falloir en passer par un défaut de la dette
grecque, car, avec une croissance aussi faible, il n'est pas
possible d'étaler la montée inexorable des intérêts.
Pourquoi pas une solution macroéconomique à trois ans ?
Mais à dix ans, les marchés n'y croiront pas.
L'Allemagne
a-t-elle raison de vouloir faire participer les banques à
un rééchelonnement de la dette grecque, pour des raisons
morales ?
Cela
me paraît normal, à condition que les banques expliquent
leur exposition au risque, et que les gouvernements disent
comment sera partagé le défaut grec entre les établissements.
Autrement dit, il conviendrait de donner un coup de purge
rapide pour revenir aussitôt sur les marchés.
Quelle est la solution ?
Il
nous faudrait une expression commune Merkel-Sarkozy sur un défaut
partiel, et dans une totale transparence, ce qui n'exclurait
pas des mouvements de panique. Oui, la "mère de toutes
les batailles", celle qui apaiserait les marchés, est
une parole commune franco-allemande, mais je n'y crois plus.
C'est de la politique, et non de l'économie. L'été sera
agité.
*
Directrice
des études chez Euler Hermès SFAC.
Crise
grecque :
les enjeux de la réunion de l'Eurogroupe
Le Monde,
11/07/11
Les
ministres des finances des Etats membres de la zone euro se
réunissent, lundi 11 juillet à 15 heures pour travailler
notamment sur le nouveau plan de sauvetage de la Grèce. Athènes
réclame que cette nouvelle aide soit mise en place pour début
septembre. Celle-ci devrait être de 110 milliards d'euros,
selon le premier ministre Georges Papandréou, mais ce
montant dépend en partie de la participation ou non des créanciers
privés, un sujet qui fait débat au sein de l'Union européenne.
La participation des créanciers privés
La
réunion de l'Eurogroupe devrait principalement porter sur
la question de la participation des créanciers privés –
banques, assureurs, fonds de pension – au plan d'aide à
la Grèce. Les ministres des finances européens espèrent
recueillir entre 15 et 30 milliards d'euros auprès de ces
investisseurs privés détenant des obligations souveraines
grecques.
Plusieurs
propositions sont sur la table pour y parvenir, mais toutes
ont le désavantage d'être pointées du doigt par les
agences de notation. Celles-ci ont en effet prévenu que les
différentes solutions envisagées par les pays membres de
la zone euro pour inclure les créanciers privés dans le
tour de table aboutiraient toutes à la mise en défaut
d'une partie de la dette grecque.
Les pistes envisagées
Selon
plusieurs sources, l'option principale étudiée reste celle
proposée par les banques françaises d'un "rollover"
de la dette grecque arrivant à maturité d'ici à 2014.
Selon cette méthode, les détenteurs d'obligations grecques
réinvestiraient 70 % des sommes remboursées par la Grèce,
dont la moitié dans des titres à 30 ans à des taux équivalents
à ceux des prêts de soutien européens.
L'Allemagne
a toutefois remis sur la table cette semaine sa proposition
d'un "échange" d'obligations grecques, qui
verrait les créanciers de la dette grecque échanger leurs
titres arrivant à maturité entre 2011 et 2014 contre
d'autres titres ayant une échéance assez longue.
L'Institut
de la finance internationale (IFI) qui représente les
banques a, quant à lui, proposé que la Grèce procède à
des rachats d'obligations, plaçant à nouveau les Européens
devant une page blanche. "Nous ne sommes pas tout à
fait revenus au kilomètre zéro, mais on n'en est pas loin",
a reconnu, vendredi 8 juillet, une source de haut rang au
sein de la zone euro.
Risque de défaut de paiement
L'implication
des créanciers privés dans le financement du nouveau plan
d'aide à la Grèce pourrait, en revanche, avoir des conséquences
négatives. Les agences de notation ont affirmé que tout rééchelonnement
de la dette grecque les obligerait à placer ce pays en défaut
sélectif de paiement, ce qui entraînerait aussitôt une
crise de confiance au sein de la zone euro. La Banque
centrale européenne (BCE) a prévenu qu'elle ne pourrait
accepter d'obligations grecques mises en défaut en
contrepartie des prêts qu'elle accorde aux banques du pays.
En clair, cela signifie que les banques grecques seraient
privées du financement de la BCE et risqueraient alors la
faillite. Un tel scénario susciterait la panique sur les
marchés, notamment dans les pays fortement endettés comme
le Portugal et l'Irlande.
L'Italie également au menu
L'inquiétude dépasse à présent
la seule Grèce. Après une journée difficile, vendredi 8
juillet, les taux obligataires à long terme espagnols et
italiens ont atteint, lundi 11 juillet, leur plus hauts
historiques depuis la création de la zone euro. Avant la réunion
de l'Eurogroupe, les responsables européens se sont retrouvés
ce matin à Bruxelles pour une réunion aux allures de
sommet de crise. "L'Italie doit envoyer elle-même un
signal important qui est l'adoption d'un budget répondant
à des exigences d'économies et de consolidation", a déclaré
la chancelière allemande, Angela Merkel, lundi 11 juillet,
au moment où les titres de dette italienne subissent un
mouvement de défiance des investisseurs sur les marchés.
|