Grecia, laboratorio
de la "austeridad"
en Europa

Les travailleurs trouveront-ils une issue à la barbarie capitaliste qui les frappe?

Où va la Grèce ?

Par Kolya Fizmatov
Tendance Claire du NPA,
15 février 2012

Dimanche 12 février, le parlement grec a adopté un nouveau plan d’austérité (le quatrième en deux ans et incontestablement le plus violent) pour pouvoir continuer à bénéficier du soutien financier de la Troïka (Union Européenne, Fond Monétaire International, Banque Centrale Européenne). Et ce malgré une immense protestation populaire. L'artifice d'un gouvernement d'union nationale, technocrate et apolitique, a vécu. La lutte de classe s'affirme dans toutes sa crudité et les institutions européennes aux mains des grandes bourgeoisies montrent clairement de quel côté elles se situent, et jusqu’où elles sont prêtes à aller pour saigner les travailleurs et la jeunesse grecs.

C’est que pour les bourgeoisies de l’UE, il ne s’agit pas simplement d’éviter, coûte que coûte, que la Grèce fasse défaut : il s’agit également pour elles de faire un exemple afin d’essayer de montrer aux prolétariats de toute l’Europe qu’il n’est pas possible de s’opposer aux diktats du capital, qu’il ne sert à rien de lutter et qu’il n’y a donc pas d’autre solution que de se résigner. Si les masses grecques parvenaient à défaire l’opération en cours pour le pulvériser, cela aurait des conséquences incalculables dans toute l’Europe, encourageant partout les travailleurs en colère contre les coups des patrons et de leurs gouvernements, mais en partie découragés et sans perspective en raison de la politiques des réformistes et des directions syndicales, à une lutte de masses contre leurs ennemis.

Dimanche 12 février : une journée de mobilisation historique

La mobilisation a été gigantesque. Après deux journées de grève, vendredi 10 et samedi 11 février (où 20 000 grecs ont manifesté à Athènes selon la police), la population s’est rassemblé à partir de 17h devant le parlement : la police a compté plus de 80 000 personnes (20 000 à Salonique), sous-estimant certainement de beaucoup la mobilisation.

La répression a été féroce (plusieurs dizaines d’hospitalisation) : arrestations préventives le matin, gazage de manifestants pacifiques (dont Mikis Theodorakis, intellectuel de 86 ans, symbole de la résistance au nazisme et à la dictature des colonels) etc. Malgré cela, les manifestants sont restés jusque très tard dans les rues, défiant les forces de répression. La manifestation a tourné à l’émeute, et des dizaines de bâtiments ont pris feu, des banques et des magasins ont été saccagés, une armurerie a été dévalisée, des postes de police attaqués.

Pourquoi ce nouveau plan ?

Les trois conditions de l’aide à la Grèce posées au sommet européen d’octobre par les grandes bourgeoisies d'Europe sont déjà dépassées car impossibles à tenir :

* la dette ne doit pas dépasser 120% du PIB en 2020, par rapport au 170% d’aujourd’hui. Mais même ce niveau ne semble pas atteignable ni supportable par la Grèce, vu la fragilité de son économie

* les nouveaux crédits donnés à la Grèce ne doivent pas dépasser 130 milliards d’euros. On estime qu’il faudrait entre 10 et 15 milliards de plus au minimum

* seuls les créanciers privés doivent subir des pertes, pas la BCE ni les États. Étant donné que ces créanciers privés détiennent plus de la moitié de la dette grecque, cela suppose des pertes colossales de leur part. La BCE, quant à elle, pourrait éventuellement renoncer aux intérêts des prêts d'Athènes, même si elle s'y refuse encore pour le moment.

Le problème n'est pas seulement le déficit public que le manque de compétitivité : coût du travail (relativement à la productivité) trop élevé. D’où un déficit commercial très important et pas soutenable. Dans le cadre bourgeois, trois « solutions » s'offrent à la Grèce :

* le défaut de paiement et la sortie de l'euro (même si on peut aussi imaginer un défaut de paiement total et le maintien dans l’euro)

* des transferts permanents depuis les pays compétitifs de la zone (comme par exemple avec la Corse ou la Guadeloupe à l'intérieur de la France)

* une « dévaluation interne » (baisse drastique du coût du travail) faute de pouvoir dévaluer la monnaie nationale (qui n’existe plus)

Les politiques européens ont choisi résolument la voie de la « dévaluation interne ». Il ne s'agit pas de simplement rétablir l'équilibre des comptes publics mais de structurellement abaisser les salaires (publics comme privés) et les minima sociaux. C'est une solution plus lente (mais plus solide) qu'une dévaluation du taux de change, pour atteindre l'objectif d'une baisse des prix nationaux par rapport aux prix étrangers. Pendant la période de transition, la demande s'écroule et le chômage explose. Cependant, une fois que le niveau de vie des travailleurs s'est suffisamment abaissé, l'accumulation capitaliste peut reprendre. La Lettonie a suivi cette politique rapide et brutale en 2008. Le taux de chômage est passé de 6% à 20% en un an, avant de redescendre autour de 15%. Le PIB s'est contracté de 20% en 2009, mais s'est stabilisé en 2010.

Les principales mesures votées en bloc par le parlement grec

La simple austérité n'est donc plus une option : des ajustements drastiques sont nécessaires pour maintenir la zone euro dans son périmètre actuel. Si le plan de Papadémos / Troïka ne s’applique pas, c'est la faillite assurée, ce que les autorité européennes ne manquent pas de rappeler.

* Réduction de 20 à 25% des salaires, en commençant par le salaire minimum (actuellement de 761€ brut / mois, il serait donc autour de 470€ net / mois (pour les jeunes de moins de 25 ans, cela sera 10% de moins, soit autour de 400€ par mois)

* Réduction de 20% des retraites de plus de 1 000 euros par mois

* Réductions de 20 à 30% dans les retraites complémentaires de plus de 150 euros par mois

* Licenciements dans les forces armées, la santé et l’éducation pour les employés sans-statut permanent

* Abolition du droit des salariés à un poste permanent

* Ouverture immédiate des professions fermées

* Mise en place de zones économiques spéciales assorties d’incitations fiscales pour l’investissement et le travail

* Suppression de 15 000 postes dans la fonctions publiques pour 2012, 150 000 d’ici 2015

* Privatisation de six entreprises publiques au premier semestre 2012, à savoir la compagnie des eaux d’Athènes et du Pirée (EYDAP), de Thessalonique (EYATh), la compagnie publique de gaz naturel (DEPA), le gestionnaire du système national de gaz naturel (DESFA), les Pétroles Helléniques (ELPE) et l’organisme de paris sportifs (OPAP)

* Vente de Hellenic Petroleum au premier semestre 2012

* Fermeture de l’Organisme du logement pour les travailleurs (OEK) et du «foyer ouvrier» (OEE)

* Suppression du faible taux de la TVA appliqué aux îles

Crise politique aigüe

La majorité gouvernementale se délite, et se réduit à 193 députés sur 300 : avant le vote à l’assemblée, les 4 ministres du LAOS (extrême droite) ainsi que 2 ministres du PASOK ont démissionné. 22 députés du PASOK et 21 députés de la « Nouvelle démocratie » (parti de droite) ont refusé de voter le mémorandum, et ont été immédiatement exclus de leurs partis.

Ainsi, pour Papademos, la première étape est de consolider la majorité dont il dispose avant des élections à haut risque prévues en avril. Après le départ de l’extrême droite, un PASOK à l’agonie (autour de 10% des intentions de vote), et le principal parti de droite qui commence à perdre des éléments, Papademos peut s’inquiéter. La situation pourrait vite se dégrader au vu de l'immense pression populaire. D'où les appels pathétiques du Premier Ministre qui répète que le peuple Grec n'a le choix qu'entre lui et le chaos.

Il faut ensuite amadouer les bureaucraties syndicales. Même si elles se sont déclarées prêtes à discuter du gel des salaires, et dénoncent en cœur avec le patronat grec la gabegie de l’État, elles subissent elles aussi la pression des masses, et ce d'autant plus qu'elles craignent de se voir débordées sur leur gauche. Elles ne peuvent que rejeter le plan de Papadémos, du moins dans la version présente.

Enfin, le gouvernement doit appliquer rapidement les mesures votées pour ne pas laisser l'occasion de les défaire aux prochaines élections. Les législatives anticipées, originellement prévues pour le 19 février, ont été repoussée en avril. Les sondages actuels donnent 40% d'intention de vote aux forces situées à gauche du PASOK (staliniens du KKE, antiliberaux de Syriza et de la Gauche démocratique – scission de droite de Syriza–, et anticapitalistes d’Antarsya). Une éventuelle d’un « Front de gauche » local est peu probable, compte tenu de la division entre ces organisations et de leurs désaccords (restructuration de la dette pour les antilibéraux et maintien dans l’UE pour les antilibéraux, sortie de l’euro et annulation de la dette pour le KKE). Du reste, les antiliberaux grecs ne semblent pas pressé de prendre le pouvoir. Syriza reste dans l'optique de ramener le PASOK à gauche, le KKE, plus radical en paroles, défend les institutions en place (son service d'ordre allant jusqu’à protéger le parlement des émeutiers qu'il qualifie de « provocateurs gauchistes », voir « d'anarcho-fascistes »!). Toutefois, même si ces forces restent minoritaires, un gouvernement ne disposant que d'une majorité réduite n'inspirerait pas grande confiance aux marchés et aurait du mal à mener sans encombre l’écrasement du prolétariat grec et de ses organisations, nécessaire à l’application du nouveau plan d’austérité.

La situation politique en Grèce est entrain de franchir un nouveau cap : les mécanismes habituels de domination de la bourgeoisie semblent sur le point de s’épuiser. Les élections parlementaires, l’alternance droite/gauche, les obligations impliquées par l’appartenance à l’UE et la concertation avec la bureaucratie syndicale ne sont plus à même de contenir des travailleurs et des jeunes déjà appauvris par les premiers plans d’austérité et qui n’ont plus de quoi vivre — on voit réapparaître la faim et les épidémies en Grèce, dans un pays capitaliste d’Europe ! Les nombreuses défections de parlementaires du PASOK, mais aussi de la ND et le refus de la bureaucratie syndicale d’accepter le plan d’austérité malgré l’extrême pression des grandes bourgeoisies de l’UE et de la bourgeoisie grecque montrent que la pression des masses a atteint un niveau sans précédent.

Une seule solution : un gouvernement des travailleurs qui annulerait la dette, romprait avec l’UE capitaliste, et socialiserait les moyens de production !

Les travailleurs grecs doivent affronter leur propre gouvernement et l’ensemble des bourgeoisies européennes. Ils doivent aussi faire face aux bureaucraties syndicales et aux réformistes qui cherchent à canaliser leur colère, jouent le jeu des institutions, et attendent tranquillement les élections, où ils espèrent quelques gains substantiels.

Une faillite désorganisée de la Grèce, provoquée par la lutte de classes, aurait des conséquences économiques et politiques dans toute l'UE. Les antiliberaux voudraient nous faire croire que le financement des déficits publics par la BCE serait alors une solution. C’est un mensonge. Cela est un « plan B » pour la bourgeoisie qui, si elle ne parvient pas à imposer directement des baisses de salaires, pourrait avoir recours à la planche à billets pour engendrer de l’inflation et donc baisser les salaires réels. C’est ce que Paul Krugman (idole des antilibéraux) a avoué sans détour : « L'inflation n'est pas le problème, c'est la solution (...) Pour restaurer la compétitivité en Europe, il faudrait que, disons d'ici les cinq prochaines années, les salaires baissent, dans les pays européens moins compétitifs, de 20 % par rapport à l'Allemagne. Avec un peu d'inflation, cet ajustement est plus facile à réaliser (en laissant filer les prix sans faire grimper les salaires en conséquence) ».

En l’absence d’un parti révolutionnaire solidement implanté chez les travailleurs et face aux appareils bureaucratiques politiques et syndicaux, la partie est difficile. Pourtant, l’auto-organisation se développe (1) et le rôle des révolutionnaires est de tout faire pour la renforcer, tout en lui donnant des perspectives politiques claires. C’est ce que, autant que nous pouvons en juger, tentent de faire l’OKDE Spartakos, au sein de la coalition anticapitaliste Antarsya. De façon claire, ils mettent en avant un programme de transition qui constitue la seule alternative aux politiques bourgeoises qui matraquent les travailleurs :

* Pour l’annulation de la dette publique !

* Pour l’expropriation des banques et des grands groupes capitalistes !

* Pour la rupture avec l’UE capitaliste, pour la sortie de la monnaie unique du capital !

* Pour un gouvernement des travailleurs pour mettre en œuvre toutes ces mesures et relancer la production sous contrôle ouvrier !

Plus que jamais, la solidarité avec le peuple grec est à l'ordre du jour. D'abord parce que ses oppresseurs se trouvent aussi chez nous : les banques françaises qui détiennent une partie de la dette grecque, l'UMP et le PS qui soutiennent la soi-disant « aide » à la Grèce, prétexte à une gigantesque saignée. Mais aussi par ce que les attaques là-bas préfigurent celles qui viendront ici. Tout ce que les capitalistes n'auront pas réussi à faire payer aux travailleurs grecs, ils iront le chercher ailleurs.


Note :

1) Un hôpital grec sous contrôle ouvrier : cf. http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=1441


Un débat dans la gauche grecque et européenne

Restructurer, auditer ou annuler la dette ?

OKDE-Spartakos, section grecque du SU de la 4è Internationale
Traduit de l'anglais par G. L.
Tendance Claire du NPA, 15 février 2012

Avertissement : nous publions ici un texte de l'OKDE-Spartakos, car il contient des remarques politiques très justes sur la question de la position que les anticapitalistes doivent prendre face à la crise de la dette, remarques de camarades d'un pays dans lequel la crise est plus avancée que le nôtre, et dont le NPA pourrait tirer partie. Cela ne signifie pas que nous soyons d'accord avec tous les détails du texte, comme par exemple la caractérisation faite en passant du gouvernement Correa, mais ce n'est pas évidemment pas l'objet de ce texte de proposer des analyses fines sur ce point. (Tendance CLAIRE du NPA)

Depuis le début de la crise de la dette publique grecque, trois demandes différentes ont été avancées par la gauche et le mouvement ouvrier : 1) soit de restructurer (et donc de réduire), 2) soit d’auditer, 3) soit d'annuler la dette. Ce n'est pas juste une question de slogans, mais cela implique également différentes stratégies politiques. OKDE-Spartakos (1), ainsi que ANTARSYA (2), en dépit de ses contradictions, ont opté pour le troisième choix.

La première demande a été proposée par Synaspismos (2) (et donc par la majorité de SYRIZA (4)) et, dans une version plus conservatrice, par la Gauche démocratique (5) de Fotis Kouvelis. Cela consiste à négocier avec les créanciers afin d'annuler une partie de la dette, de sorte qu'elle puisse être supportable à nouveau. Néanmoins, cela est plus ou moins ce qui se passe réellement en ce moment, à l’initiative du gouvernement et de l'UE, comme il est évident que toute la dette ne pourra jamais être payée. Ainsi, les créanciers préfèrent perdre une partie de leurs profits que de perdre tout, cela étant compensé dans le même temps par des conditions nouvelles, plus favorables (les bas salaires, les relations de travail dérèglementées, etc.) pour les investissements futurs. Ce genre de négociation est un projet explicitement bourgeois, et il est le seul processus réel de la « restructuration ». C'est pourquoi la demande de restructurer la dette a rapidement perdu sa crédibilité en tant que composante d'une réponse en faveur des travailleurs, et il a conduit les partis de gauche en sa faveur dans une situation plutôt embarrassante.

Plus de discussion est nécessaire au sujet de la demande d'une commission d’audit qui vérifierait les contrats de dette et prouverait qu'une partie de celle-ci est odieuse. L'objectif fondamental de cette commission serait de révéler aux masses que la dette qu'elles sont censées payer n'est ni juste ni légitime. Sur la base de cette idée, un an et demi auparavant, certains économistes grecs, aux côtés de politiciens issus de la gauche et d’anciens membres du PASOK (comme la députée-Sofia Sakorafa), ont publié un appel pour une Commission d'audit. Cette proposition est aujourd'hui beaucoup moins d’actualité qu’elle ne l’a été, et il semble que peu de choses ont été faites pour constituer réellement un tel comité. Cependant, il reste important d’examiner les principales idées derrière cette proposition.

Un processus d’audit de la dette pourrait être combiné, ou non, avec l’exigence d'annuler la dette, mais il n'est pas équivalent à celle-ci. Dans ce cas précis, l'appel initial pour une Commission d’audit laissait cette question ouverte. Toutefois, cela n'a pas été le seul problème de cette initiative. La grande question est de quel point de vue on se place : vérifier si la dette est légitime conformément à la législation nationale et internationale et, le cas échéant, annuler une partie de celle-ci ? Ou, au contraire, refuser que la classe ouvrière la paie, que celle-ci soit formellement conforme ou non à la législation ?

Il y a 5 raisons principales pour lesquelles nous nous opposons à la Commission grecque d’audit, comme point décisif d’une réponse anticapitaliste à la crise, et que nous mettons en avant à la place l’annulation de la dette :

1. La dette publique grecque n'est pas du même type que la dette du Tiers Monde. Économiquement, elle n'est pas imposée par les pays étrangers impérialistes qui pillent le pays et le profit par l'échange inégal en raison de la différence de taux de productivité, même si l'échange inégal joue ici un certain rôle. La dette est le produit d'une stratégie de développement choisie délibérément par la classe bourgeoise grecque, qui est elle-même impérialiste. Cette stratégie particulièrement agressive comprenait à fois un endettement public excessif et l’invasion économique de l’Europe de l’Est à l’aide de la monnaie européenne.

Comme cette stratégie a échoué, c’est elle qui se fait actuellement sanctionner par la compétition entre pays capitalistes, qui n’a pour but que de répondre à la question : « Qui va porter le fardeau de la crise? ». En outre, il devient de plus en plus évident que la crise de la dette en Grèce n'est pas due à une sorte de spécificité nationale, mais qu’elle fait partie d'une crise capitaliste internationale structurelle, une crise de suraccumulation, qui frappe tout d'abord (mais pas exclusivement) les maillons faibles comme la Grèce. Techniquement, il n'y a quasiment pas de contrats de dette à vérifier pour une hypothétique commission d’audit, parce que l'emprunt public, contrairement à ce qui se passe généralement dans le Tiers Monde, a été réalisé par l'intermédiaire d'obligations d'État, et non de prêts (du moins avant le mémorandum). Par conséquent, s’il y a quelque chose à révéler ce qui concerne la dette, ce ne sont pas des scandales, mais sa nature exploiteuse, celle d’être un mécanisme qui accentue l'exploitation de classe. Toutefois, cette tâche ne peut pas fondamentalement être réalisée par un audit, mais par une analyse politique marxiste, un travail politique et, bien sûr, par la lutte.

2. Ce n'est pas vraiment un problème de convaincre les travailleurs et les opprimés en Grèce que la dette n'est pas juste. La plupart d'entre eux en sont déjà convaincus, et la réticence des partis de gauche à parler de l'annulation afin de ne pas « effrayer » les masses s'est révélée être déraisonnablement conservatrice, si elle n'est pas simplement hypocrite. Il est révélateur que la demande d'arrêter immédiatement le remboursement de la dette et la lutte pour son annulation (sauf pour la partie détenue par des fonds de pension) a été l'une des premières choses votée par l'Assemblée populaire massive de la place Syntagma au cours du mouvement des « indignés », même si ce mot d’ordre n’avait été mis en avant que par la seule extrême gauche, le plus visiblement par ANTARSYA). Selon de récents sondages, plus d'un tiers de la soi-disant « opinion publique » se prononce pour l'annulation de la dette publique, un taux qui est évidemment beaucoup plus élevé concernant la classe ouvrière. C'est un pourcentage très important, étant donné la féroce propagande lancée par les gouvernements grecs et les médias qui ne cessent de crier qu’un défaut sur la dette publique serait un désastre total pour chacun d'entre nous. Il est également révélateur que le Parti communiste, après avoir discrédité la demande pendant plus d'un an, a maintenant changé sa position et l’a adopté, sans effrayer les masses ou perdre sa popularité pour cette raison. Le vrai problème n'est pas d'expliquer aux masses qu'elles ne devraient pas payer la dette (elles en sont déjà convaincues), mais d’indiquer comment elles pourraient effectivement éviter de la payer, comment elles pourraient imposer son annulation et comment elles pourraient se défendre contre la vindicte des classes bourgeoises nationale et internationale au cas où elles parviendraient à le faire.

Bien sûr, les choses sont très différentes au sujet d'une campagne de solidarité internationale. Dans ce cas, il peut en effet être crucial de prouver à quel point la dette a été pour les travailleurs grecs un désastre et mécanisme d’exploitation, dans le but de convaincre les gens qui ne sont pas directement touchés par celle-ci. Il ne s’agit pas de blâmer les militants qui se sont prononcés, à l’étranger, pour la Commission d’audit [de la dette grecque] – de leur point de vue, cela peut être un geste légitime de la solidarité. Néanmoins, comme tactique à l'intérieur du pays, une demande d'audit est clairement un pas en arrière.

3. La Grèce est un cas complètement différent de l'Équateur, qui est généralement considéré comme un exemple de réussite de l'audit. En Équateur, un gouvernement progressiste a pris l'initiative de former une commission d'audit et de vérifier les contrats concernant les emprunts publics – dans ce cas il y avait effectivement de tels contrats. Ce gouvernement a été le résultat des mouvements de masse et des luttes de la classe ouvrière, même s’il est l’illustration de leurs limites.

Au contraire, tant le présent gouvernement d’« unité nationale » que le gouvernement précédent du PASOK en Grèce sont les principaux instruments de la guerre brutale que la classe bourgeoise a déclarée à l'encontre des travailleurs. Ils agissent au nom du capital sans avoir l'intention d'accepter le moindre compromis de classe. Et il est bien connu que tant l'État grec que les capitalistes grecs sont déterminés à garantir aux créanciers qu’ils ne perdront pas leur argent. Un défaut sur la dette mettrait en péril l’ensemble de leur stratégie de développement, ainsi que leurs propres intérêts immédiats, puisque beaucoup d'entre eux sont des créanciers de l’État (plus d'un tiers de la dette est détenue par les banques grecques). Ainsi, il est absurde de demander à un tel gouvernement de donner son autorisation, ou les « pouvoirs nécessaires », (expression utilisée dans l'appel initial pour une Commission d’audit), afin de vérifier les contrats de dette.

Une telle demande sous-entend que nous aurions un problème commun avec le gouvernement, quelque chose comme une « cause nationale » ou une lutte nationale contre les « pillards » étrangers de notre terre. Au contraire, notre tâche principale du moment est de prouver aux masses révoltées que « notre » gouvernement ne doit pas simplement être blâmé pour avoir été trop soumis à des banquiers étrangers, mais qu'il est un acteur clé de l'attaque que nous subissons et qu’il devrait être renversé. Par ailleurs, le montant de la dette – considéré comme « odieux » – que le gouvernement de Correa a refusé de payer représente moins de 5% de la dette publique grecque actuelle. Le système financier international pouvait tolérer cette perte, mais il ne peut pas le faire dans le cas de la Grèce.

Si l'Équateur n'est pas un bon point de comparaison avec la Grèce, c’est encore moins le cas pour un autre exemple cité par les économistes pour la Commission d’audit : la Russie en 1998. Il n’est pas vraiment nécessaire de s’étendre : dans ce cas l'annulation d'une partie de la dette publique était un projet 100% bourgeois, une décision prise en fonction des rivalités inter-impérialistes et non en fonction des demandes des gens ou des intérêts de la classe ouvrière russe.

4. L’appel pour une commission d’audit est censé être une démarche purement scientifique et technocratique soutenue par des « personnalités ». Ce n'est pas une campagne ou un front, et il ne rassemble pas les syndicats, les organisations politiques ou sociales (« il sera indépendant des partis politiques » comme indiqué dans l'appel). Une première objection est que cela relève d’une démarche bureaucratique, car on ne sait pas comment ce comité d'experts serait contrôlé par le mouvement de masse. Toutefois, ce n'est pas le seul problème. Le cadre politique de cette initiative, tel qu'il est exprimé dans l'appel original, n'est pas « neutre » du tout, comme l'espérait la frange la plus radicale des signataires. Il est assez clairement social-démocrate. Plus précisément, son objectif principal est de trouver un moyen de sortir de la crise sans rompre avec les règles du capitalisme, mais par la gestion du système. Selon l'appel :

« L'objectif de la Commission sera de déterminer pourquoi la dette publique a été contractée, les conditions dans lesquelles elle a été contractée, et quelles utilisations ont été faites des fonds empruntés. Sur la base de ces considérations, la Commission fera des recommandations appropriées pour faire face à la dette, y compris la dette qui sera considéré comme étant illégale, illégitime ou odieuse. Le but de la Commission sera d'aider la Grèce à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire face à la charge de la dette »

Ce type de rhétorique alimente un patriotisme trompeur, cherchant un moyen de « sauver la Grèce », et non pas la classe ouvrière et les couches défavorisées et opprimées. Or, dans la crise, il n'y a aucun moyen de sauver la Grèce en général, parce qu'il n'y a aucun moyen de sauver à la fois les capitalistes et les travailleurs. Une seule classe peut être sauvée, au détriment de l’autre.

5. Les arguments techniques sur la dette sont utiles, mais secondaires et complémentaires. Fondamentalement, la crise de la dette publique grecque n'est pas un problème technique ou une question de logistique, mais un dilemme de classe fondamental : qui paie pour la crise? Qui prend en charge le fardeau du processus de destruction déclenché par la crise? La dette que les travailleurs et les opprimés sont obligés de payer n'est pas injuste car elle violerait la législation, mais parce qu’elle viole leurs intérêts et droits fondamentaux. Si la discussion se limite à des questions techniques, il est évident que le gouvernement et la classe bourgeoise, avec tous leurs spécialistes, experts, grands médias et appareils de propagande, auront un avantage évident.

Ce qui importe est le noyau politique de la demande d’audit de la dette : le droit de la classe ouvrière d'accéder aux données concernant les finances de l'État, les bilans et les fonds, c’est-à-dire, en d'autres termes, le contrôle des travailleurs. Nous appuyons cette demande. Mais c'est exactement une revendication transitoire, qui n'est pas réalisable dans le cadre du capitalisme et de l'État bourgeois. Et, bien sûr, il n'est pas judicieux du tout de demander des « pouvoirs nécessaires » à un gouvernement bourgeois afin de lutter pour un tel objectif.

Notre désaccord avec la Commission d’audit et les divers programmes de gauche de restructuration de la dette est stratégique, mais en même temps il a des conséquences sur les priorités immédiates dans le mouvement de masse. Nous ne devrions pas considérer que nous sommes confrontés à un problème qui pourrait être résolu en faveur de la nation prise comme un tout, quelle que soit la nature « progressiste » de la solution promue. La tâche principale de la classe ouvrière et des opprimés n'est pas de convaincre le reste de la nation, mais d’imposer l’annulation de la dette par les luttes, les grèves générales, les blocages de la production, etc. – -que la dette soit illégale, illégitime, odieuse ou non. Les capitalistes n'ont pas peur de nos arguments. Ils ont peur de notre pouvoir de menacer leur domination de classe.


Notes :

1) Section grecque de la « IVème internationale » (ancien secrétariat unifié - SU)

2) Regroupement d’une dizaine d’organisations anticapitalistes, dont l’OKDE Spartakos.

3) Scission de droite du KKE (parti communiste grec), fondée en 1991 et favorable à l’Union européenne.

4) « Coalition de la gauche radicale », coalition d’organisations antilibérales et anticapitalistes, affilié au « parti de la gauche européenne ». Synapsismos est, de loin, la principale composante de SYRIZA.

5) Scission de droite de Synapsismos (et donc de SYRIZA), fondée en 2010, et qui souhaite coopérer avec le PASOK.