Le
scrutin à l'ONU sonne le glas
des espoirs palestiniens
Pour
Julien Salingue (*)
Le
Monde, 21/09/11
L'échéance
de l'Assemblée générale des Nations unies approche, avec
son cortège d'interrogations : la direction palestinienne
ira-t-elle au bout de sa démarche ? Les rapports de forces
seront-ils modifiés ? Plutôt que de prétendre répondre
à ces questions, je souhaite souligner ici un paradoxe : la
démarche de la direction palestinienne, qui consiste à
faire reconnaître "l'Etat de Palestine" par les
Etats membres de l'ONU, participe en réalité de la
disparition du projet d'établissement d'un Etat palestinien
au côté d'Israël.
Depuis
une trentaine d'années, la direction "historique"
du mouvement national palestinien a fait le choix d'une
solution biétatique négociée avec Israël sous l'égide
des Etats-Unis. Cette stratégie s'est concrétisée en
1993-1994 avec les accords d'Oslo qui, selon leurs
promoteurs, ouvraient une période intérimaire au cours de
laquelle des négociations devaient mener à la coexistence
de deux Etats et à une "solution juste" au sujet
de Jérusalem et des réfugiés. Rien de tel ne s'est
produit, et les Palestiniens n'ont pu que constater le
caractère virtuel du processus de paix, au regard de la
poursuite de l'occupation et de la colonisation.
Dans
le même temps, l'OLP a achevé de se transformer en
appareil d'Etat investissant ses forces dans la construction
de l'Autorité palestinienne (AP), conçue comme une
structure intérimaire vouée à disparaître lors de l'établissement
de l'Etat. Le temps s'écoulant, la structure AP a trouvé
sa propre raison d'être, avec le développement d'une
couche sociale bénéficiant de gratifications matérielles
et symboliques non pas dépendantes de la satisfaction des
droits nationaux des Palestiniens mais de la survie de
l'appareil d'Etat et de la poursuite des négociations.
Or
de plus en plus de voix exigent de prendre acte de l'échec
du projet d'Etat palestinien au terme d'un processus négocié
: disparition des bases matérielles de l'Etat en raison de
la colonisation, intransigeance israélienne au sujet de Jérusalem
et des réfugiés, négociations sans fin durant lesquelles
Israël poursuit sa politique de fait accompli... Pour Ziyad
Clot, ancien négociateur de l'OLP, le doute n'est plus
permis : "Il n'y aura pas d'Etat palestinien."
Cette hypothèque inquiète le "personnel politique
d'Oslo", menacé par l'impasse des négociations. La démarche
à l'ONU est en réalité la "dernière cartouche"
de la direction palestinienne pour ressusciter le projet
auquel elle est identifiée et qui lui assure sa survie économique
et politique depuis plusieurs décennies.
"Chantage
aux aides"
Saeb
Erekat, négociateur palestinien, déclarait récemment :
"Si les Etats-Unis opposent leur veto à l'admission de
la Palestine à l'ONU, ont recours au chantage aux aides
financières et laissent Israël exercer seul l'autorité,
alors, à mon avis, l'Autorité palestinienne doit cesser
d'exister." Un ultimatum ? Plutôt un aveu d'échec :
un veto américain sera interprété par la population
palestinienne comme l'échec de la stratégie suivie depuis
trente ans. La direction palestinienne n'aura alors plus
aucune perspective crédible, pas même la promesse d'un
Etat.
Certes,
l'Assemblée générale à venir sera l'occasion de mesurer
l'isolement d'Israël, qui s'est accru avec les
bombardements sur Gaza en 2008-2009 et l'assaut sanglant
contre la flottille en 2010. Mais elle sera aussi,
paradoxalement, avec la "non-admission" programmée
de l'Etat palestinien, l'acte de décès de ce dernier. Côté
palestinien, une refondation stratégique s'ensuivra, qui ne
manquera pas d'être influencée par les bouleversements régionaux
: une démocratisation du monde arabe pourrait conduire à
une résorption du fossé entre la solidarité populaire
avec les Palestiniens et l'hostilité des dictatures à leur
égard, modifiant les rapports de forces et permettant de
sortir du cadre étroit des solutions envisagées depuis une
trentaine d'années.
(*) Julien
Salingue, enseignant et doctorant en science politique, spécialiste
de la question palestinienne.
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