Monde arabe
Une révolution qui continue, s'approfondit
et s'ouvre sur le monde
Par Jacques Chastaing
Mulhouse, le 8 juin 2012
Un an et demi après le surgissement des révolutions arabes amorcé
en décembre 2010 en Tunisie, où en est-on ? On pourrait
avoir l'impression, au peu d'informations qui nous
parviennent de ces pays, que tout s'est arrêté aux
massacres en Syrie et au succès électoral des islamistes
en Tunisie et en Égypte, qu'il ne s'y passe plus rien.
Pourtant il n'en est rien. Bien au contraire. La révolution
continue et aborde même la question de l'émancipation
sociale. On ne peut que regretter le peu d'intérêt que la
presse critique ou révolutionnaire accorde ici aux évolutions
de ces pays, d'autant plus qu'elles introduisent à un déchiffrage
du monde. Nous proposerons donc ici une lecture de ces révolutions
arabes comme signes délimitatifs d'une période qui donne
le sens de ce qui agite actuellement le monde, de l'Europe
au Québec, jusqu'à donner une part de la signification des
résultats électoraux de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon
ou Syriza.
La deuxième phase de
la révolution ou une longue patience du peuple
emplie de ruptures
Il serait trop long ici de décrire, pays par pays, combien
l'aspiration à la liberté, le pain, la dignité et la
justice sociale qui a traversé l'ensemble du monde arabe,
continue aujourd'hui de plus belle. Nous nous limiterons à
décrire sa maturation dans les révolutions égyptiennes et
tunisiennes où cet ensemble de soulèvements trouve
aujourd'hui son épicentre.
Les surgissements du début 2011 dans ces deux pays ont été suivi
d'une séquence politiquement plus discrète faite de
l'insistance patiente et têtue du peuple à obtenir de la
part de ceux du dessus ce que leur premier surgissement leur
avait signifié. Cet acte deux de la révolution ouvrait le
temps d'une longue patience du peuple meublée d'attentes et
d'illusions mais aussi de bien des insistances et des méfiances
et d'une série de ruptures psychologiques et politiques
ouvrant sur de nouvelles perspectives que nous voulons décrire
ici.
En
Égypte, le peuple a cru un temps que l'armée, par son coup
d’État dans la révolution qui a renversé Moubarak en février
2011, avait épousé la cause populaire. En Tunisie aussi,
dans une moindre mesure. Puis à partir de l'automne 2011,
une rupture s'est opérée entre le peuple et l'armée. Le
peuple a alors mis sa confiance dans la démocratie électorale
et les partis islamistes qui lui paraissaient plus que les
autres porter des valeurs morales d'honnêteté, semblant
garantir ce que la révolution avait signifié. Cela s'est
traduit par les succès électoraux, relatifs,
de ces derniers partis. Mais il n'a fallu que quelques mois
à peine, pour une seconde rupture avec les illusions sur
les institutions électorales et l'islam politique.
Cette évolution est due au fait que l'attente n'a pas été
passive. Elle s'est traduite par de multiples manifestations,
votes, pétitions, occupations, sit-in, grèves locales ou générales,
affrontements, occupations d'entreprises, de commissariats,
préfectures, tribunaux, des initiatives multiformes dans
tous les domaines, mises à l'écart de certains anciens
responsables dans des universités ou des entreprises,
jugements de personnalités impliquées dans l'ancien régime,
expropriations de certains de leurs biens, créations de
collectifs divers en commençant par une nouvelle confédération
syndicale de 2 millions de membres en Égypte, le
renforcement de l'UGTT en Tunisie et la place centrale
qu'elle prend de plus en plus dans le pays, jusqu'à des
associations de cinéastes, vidéastes, artistes...
modifiant le paysage psychologique, médiatique et
intellectuel de ces pays. On n'a plus peur, on le dit, on le
filme et le montre. On ne veut plus ressentir la honte de
soi que générait la passivité face à la dictature, on
veut vivre debout, les yeux ouverts, construire une autre
vie.
Le peuple est patient, parce qu'il répugne à la violence, portant
par là le message de l'idéal de vie et de société de son
soulèvement. Cependant, à force d'être mené en bateau,
berné, trompé, abusé et trahi, la longue patience du
peuple a commencé à prendre fin pour laisser la place à
son droit à une nouvelle insurrection. Ses composantes les
plus avancées savent déjà qu'il leur faudra en passer par
là et la grande masse des gens est en train d'en prendre le
chemin.
Les jours où la
longue patience du peuple commença à prendre fin
Il y avait déjà eu des ruptures en Égypte avec l'armée en
octobre 2011 lors des massacres de Maspéro et en Tunisie
avec le nouveau gouvernement lors du congrès de l'UGTT en décembre
2011. Mais les dates où s'amorcèrent ces dernières
ruptures de cette seconde phase des révolutions arabes ont
probablement eut lieu le 25 janvier 2012 en Égypte et le 7
mars en Tunisie.
Le 25 janvier, pour l'anniversaire du soulèvement, dans des
manifestations de plus d'un million de personnes place
Tahrir, plus importantes qu'aucune de toutes les
protestations contre Moubarak pendant les 18 jours du soulèvement,
les islamistes égyptiens ont été conspués, dénoncés
comme des complices du régime militaire, les manifestants
leur montrant leurs chaussures, coupant la sonorisation de
leurs discours, puis cherchant à envahir le nouveau
parlement dominé par les partis islamistes pour dire le peu
de crédit qu'ils donnaient à ce parlement qui leur
paraissait complice de l'armée
dés le premier jour de son entrée en fonction. Les
manifestants n'étaient pas là pour une commémoration
comme l'armée et les islamistes le souhaitaient. Ils
voulaient continuer la révolution, puisque rien,
socialement, n'avait encore véritablement changé.
L'effervescence du 25 janvier s'est poursuivie jusqu'au 11 février.
Les manifestations politiques et les affrontements violents
entre les jeunes et l'armée qui ont émaillé quasiment
chacune des 10 premières journées (et nuits) quasi
insurrectionnelles en février
après les massacres du stade de Port Saïd, ont
confirmé la perte de crédit des islamistes et du processus
électoral parlementaire. Cette rupture affichée dans les révoltes
explosives des supporters de foot Ultra et les campagnes
Kazeboon (menteurs) où des militants passaient, sur les
places et dans les quartiers, des vidéos montrant les
mensonges de l'armée, s'est accompagnée de la mise en
place de tout un espace public oppositionnel, une nouvelle
fois sans les islamistes, répétant le scénario de 2011,
mais cette fois plus consciemment. L'apogée de cette prise
de conscience a été le 11 février lorsque les étudiants
ont brisé le consensus psychologique national
en appelant toute la population, et tout particulièrement
les ouvriers, à la grève générale pour faire tomber le régime
militaire. Jusque là, les débouchés politiques acceptés
étaient la démocratie ou l'islam, présentés à longueur
de journée comme la ou les seules "solutions"
possibles. C'était donc la première fois que l'avant-garde
révolutionnaire démocratique et les étudiants cherchaient
une autre solution et tentaient de se lier aux pauvres, aux
ouvriers, aux classes populaires, ouvrant ainsi la porte aux
idées socialistes de l'émancipation sociale. Nouvel
horizon que le vote massif des villes et quartiers
populaires pour le socialiste nassérien confirmera aux présidentielles
des 23 et 24 mai.
Le caractère encore prématuré de cet appel du 11 février,
puisqu'il n'a été que moyennement suivi, s'est prolongé
d'une nouvelle emprise du jeu électoral présidentiel sur
les esprits. Cependant, l'appel à défaut d'être suivi, était
entendu et une nouvelle vague de grèves à la mi-mars et
encore début avril, où beaucoup d'ouvriers
criaient leur dégoût non seulement de l'armée mais aussi
des islamistes, accompagnait la campagne électorale. Bien
des révolutionnaires, hier démocrates convaincus qui
voulaient un pouvoir civil élu, disaient alors que les élections
ne sont là que pour détourner le peuple de la vraie démocratie
directe des grèves, des manifestations, et de la rue et
appelaient au boycott. Quelle évolution ! Or, sur fond d'ébullition
sociale permanente et de montée des idées ouvrières et
socialistes, entre le boycott et la démocratie directe, la
distance n'est pas si grande.
Le 7 mars en Tunisie, alors que des bandes salafistes tentaient
d'imposer par la violence le niqab (voile islamique intégral)
en cours et pendant les examens à l'université de la
Manouba à Tunis, une jeune étudiante, Khaoula Rachidi, empêche
un salafiste de changer le drapeau tunisien sur le toit du bâtiment
contre le drapeau noir de l'islam. Son geste trouve aussitôt
un immense soutien populaire, des manifestations de rue
jusqu'au parlement, montrant clairement et publiquement la
rupture qui s'était faite dans les esprits avec les partis
islamistes, combien il n'était pas si difficile de les
faire reculer, décrivant alors aux yeux de larges couches
de la population tout à la fois son propre état d'esprit
et un nouveau tournant où l'alternative populaire islamiste
appartenait au passé. Dès lors, où aller ? La solution
ouvrière s'invite alors dans le paysage politique par le
biais du syndicat UGTT.
Il faut dire que cette affaire du niqab n'était que la pointe
avancée d'une offensive du gouvernement contre les libertés
appuyée sur une déferlante islamiste haineuse. Depuis des
mois, c'étaient des affaires de censure et de procès
contre les médias, Nessma TV, la radio Zitouna, Chems FM,
le journal Al Oula, une violence inimaginable contre les
habitants de Sejnane après la main mise de salafistes sur
la ville la transformant en mini émirat salafiste, la
bastonnade des journalistes et des universitaires devant le
ministère de l’enseignement supérieur, l’agression
contre le journaliste Ziad Krichène et l’universitaire
Hamadi Redissi, la dénonciation virulente des grèves,
l'interdiction des manifestations Boulevard Bourguiba,
l'appel aux mutilations des bras et des jambes des sit-inners
et grévistes par un député historique d’Ennahdha, des
attaques contre l’UGTT, l’emprisonnement du directeur
d’Al Tounousiya, les attaques terroristes des jihadistes
contre l’armée nationale, des campagnes en faveur de
l'excision féminine... Toujours est-il que cette déferlante
de violence obscurantiste a réussi le tour de force de
rassembler contre elle tous ceux qui, il n’y a pas si
longtemps, étaient éparpillés: les femmes, les modernes
et les modernistes, les laïcs et les musulmans modérés,
les étudiants, les enseignants et les journalistes autour
des syndicalistes et des ouvriers. Car, la révolution est passée par là, on ne baisse pas les
bras ! Peu de temps après l'affaire du drapeau à la
Manouba, l'UGET, l’Union
générale des étudiants tunisiens, historiquement classée
à gauche, a largement remporté les élections dans les
conseils scientifiques des universités du pays, en récoltant
250 sièges sur un total de 284 dans une quarantaine d’établissements,
face au syndicat UGTE représentant la tendance islamiste.
Ce changement d'opinion n'empêche bien sûr pas les bandes
salafistes d'extrême droite de continuer à sévir. Au
contraire presque. Plusieurs milliers de salafistes venus en
bus de tout le pays se sont invités le 20 mai à Kairouan où
ils ont investi toute la journée la grande mosquée et la médina
de la ville pour y imposer leurs règles, rappelant par là
les méthodes des partisans de Mussolini en Italie dans les
années 1920. Cependant, l'ambiance est différente. Le 18
mai ils avaient tenté de fermer de force, avec couteaux et
gourdins, une dizaine de bars et débits de boisson à Sidi
Bouzid, la ville d’où est partie la révolution
tunisienne en décembre 2010, pour terroriser la population.
Mais cela a suscité la colère d'habitants qui ont à leur
tour organisé des barrages, pourchassé les salafistes qui
n'ont du leur salut qu'à la moquée dans laquelle ils se
sont réfugiés, dont les habitants n'ont pas osé les
chasser mais sur et dans laquelle ils ont toutefois tiré au
au fusil de chasse. Le combat n'est pas sans risques, mais
la population n''est pas sans ressources comme le font
remarquer les policiers en grève ces derniers jours, se
plaignant de voir leurs maisons brûler quand ils sont au
travail.
Dans les deux pays, dans cette deuxième phase de "patience",
on assiste ainsi aux mêmes ruptures avec l'armée, les
institutions électorales, la religion.
En même temps, ils ne les abordent pas par le même bout, une
crise politique plus marquée en Égypte, une crise sociale
plus explicite en Tunisie, mais qui ouvrent toutes deux à
une nouvelle rupture, avec le capitalisme cette fois.
1. La Tunisie et la
grève générale politique qui se cherche
En
Tunisie, la question du pouvoir de l'armée est moins présente
et l'élection présidentielle est déjà chose acquise.
Bref, tout le monde a pu voir ce que fait l'ex-opposition au
pouvoir. C'est-à-dire rien en faveur des classes pauvres.
La question sociale est aussi d'autant plus visible que le
puissant syndicat UGTT ( 500 000 adhérents) tient une place
importante depuis longtemps dans la vie sociale et politique
du pays. La question centrale du pays est clairement comment
faire baisser le taux du chômage qui frise avec les 20%
contre 14% en 2010 - officiellement puisqu'on n'y intègre
pas le travail informel - plus de 800.000 personnes en quête
d’emploi dont 250 000 chômeurs diplômés de l'université
? Selon une enquête récente, 86% des tunisiens pensent que
le gouvernement a échoué sur l'emploi et 90% le pensent en
ce qui concerne le contrôle des prix. Le chômage s'est
maintenu à son taux insupportable et le prix des produits
alimentaires de première nécessité a doublé en un an.
Des grèves qui
cherchent la généralisation pour conclure ce qui a été
commencé début 2011
La Tunisie est au bord de la grève générale politique. Une grève
générale parce que depuis janvier les grèves générales
partielles ou de villes ne cessent de se multiplier,
politique parce qu’en plus des revendications économiques
traditionnelles d'emploi et de salaire, les travailleurs en
lutte ne cessent d'exiger de "dégager
tous les petits Ben Ali", qui dirigent
l'administration ou l'économie de bas en haut, bref de
finir ce que la révolution du début 2011 avait commencé
en faisant tomber la tête du régime mais en laissant ses
fondations.
Durant la deuxième moitié de janvier 2012, quasiment tout le
centre du pays, le plus pauvre, était en grève générale.
Le gouvernement a su calmer la situation par des promesses
que lui permettait encore la confiance dont il bénéficiait
et l'absence de volonté de l'UGTT, dont les militants sont
à l'origine de bien des luttes, de pousser son avantage au
delà des frontières traditionnelles du syndicalisme
puisque le syndicat, en bonne entente avec le gouvernement,
a refusé de prolonger l'appel des habitants du centre du
pays à généraliser leur mouvement à toute la Tunisie et
surtout pas à relayer l'appel à faire tomber tous les
petits Ben Ali, ce qui serait une deuxième révolution.
Cependant, au fur et à mesure que la confiance dans le parti
islamiste au pouvoir et ses alliés s'émoussait, la
patience sociale trouvait ses limites, le contenu des
revendications prenait un caractère plus politique et une
forme plus proche de la démocratie directe.
Depuis janvier, on n'assiste plus seulement à des grèves
d'entreprise ou de telle ou telle catégorie mais à des grèves
générales de ville semi-insurrectionnelles, ce qui suppose
ou entraîne la construction de structures de coordination
qui tendent vers ce qu'on a appelé "conseils"
dans d'autres pays et moments. Pour les trois premières
semaines du seul mois de mai, on a pu observer:
une grève générale de la ville de Tataouine le 24 avril; Kebili
le 4 mai; Sahline, Médenine le 7 mai doublées ce jour-là
d'une grève des agents du palais présidentiel qui
accompagnent leur employeur, le président Marzouki, aux
cris de "dégage";
Feriana, Gafsa, Redeyef le 8 mai avec des sit-in à Sidi
Bouzid et Metlaoui le même jour; Sidi Bourouis et Laaroussa
le 9 mai avec un sit-in à Siliana; manifestation des
mineurs à Gafsa et grève des agents de nettoyage de l'aéroport
d'Ennfidha le 10 mai; Sidi Amor Bouhaffa le 12 mai et salariés
du pétrole à Tataouine; Beni Khalled le 14 mai; grève générale
des enseignants du primaire le 16 mai avec appel à une
suite les 30 et 31 mai; grève illimitée de la raffinerie
de Skhira le 17 mai; grève des débardeurs du port de Gabès
le 18 mai; attaque du siège du gouvernorat à Gabes le 21
mai; Médenine encore le 22 mai avec une grève générale
de Tunisair le même jour; sit-in des diplômés chômeurs
à la Kasbah le 24 mai qui a tourné aux affrontements entre
manifestants et forces de l'ordre et grève générale à le
Kef le 24 mai toujours ce qui entraîne une grève générale
à Sakiet Sidi Youssef le 25 mai ...
En
fait, pas un jour ne se passe sans au moins dix grèves générales
ayant entraîné la paralysie de la ville concernée, 15
"sit-in" et 8 routes coupées quotidiennement
selon le ministère de l'intérieur lui-même. Les ouvriers
du bassin minier de Gafsa et Redeyef, notamment, qui ont joué
un rôle déterminant dans la chute de Ben Ali, ont demandé
à l'UGTT d'appeler à la grève générale à la fin du
mois de mai, faute de quoi, ils le feraient eux-mêmes. Car
à ces grèves de villes s'ajoutent, fin mai, des grèves
dans l'ensemble du pays des salariés de Carrefour-Tunisie,
des employés du ministère des Finances, de ceux de
Tunisair, de l'Assemblée Nationale Constituante, des médecins
et pharmaciens hospitalo-universitaires, des instituteurs et
des magistrats...
La tête de l'UGTT
contre sa base
On rencontre alors une nouvelle difficulté. L'UGTT a concentré en
son sein toute l'opposition mais sa direction a refusé,
pour la deuxième fois en trois mois, d'appeler à cette grève
générale sur tout le pays, parce que selon elle, ce
mouvement aurait un caractère politique,
la ferait sortir de ses attributions économiques et aurait
pour conséquence la chute du gouvernement... comme ce fut
le cas au début 2011 lorsqu'elle avait appelé à la grève
générale précipitant la chute de Ben Ali.
En
janvier, lors de la grève générale du centre du pays, alors
que le ministre de l’Intérieur Ali Laârayedh déclarait
que ces manifestations, grèves et sit-in étaient « suspects
et criminels », disant qu'il appliquerait à leur
égard la rigueur de la loi, le nouveau secrétaire général
de l’UGTT affirmait qu’aucune manifestation n’était
organisée par le syndicat et appelait au dialogue et à la
levée de ces grèves et de ces sit-in. Pourtant la plupart
de ces mouvements de lutte trouvent à leur origine des
militants UGTT. Pourtant encore, la direction de l' UGTT est
passé en décembre 2011 dans les mains de révolutionnaires
maoïstes en même temps que peu à peu, le syndicat
attirait de plus en plus la confiance de l'ensemble de la
population car il restait le seul pôle organisé de résistance
au gouvernement. Les dirigeants du syndicat sont tout à la
fois capables de faire de grandes déclarations communistes,
et, dans le même temps, défendre l'idée d'une alliance
entre les patrons patriotes et leurs ouvriers pour
construire ensemble, selon eux, une économie nationale
forte.
Lors de leur congrès de décembre, le secrétaire adjoint du
syndicat insistait "sur
le rejet par l'UGTT de toute atteinte aux entreprises,
surtout celles qui représentent une bouffée d'oxygène économique
pour certaines catégories ou régions du pays“. Le
secrétaire général de l’UGTT, Hassine Abbassi, n'a eu
de cesse d'appeler à l'union nationale, soutenant de fait
le gouvernement, "ouvert
à toutes les propositions gouvernementales",
estimant que «le
gouvernement est appelé à faire participer tous les
intervenants dans la recherche de solution, notamment la
centrale syndicale». Ainsi encore, le 1er mai à Tunis,
l'UGTT a pu animer un cortège important de 30 000
manifestants mais avec le mot d'ordre d'"union
nationale". Pourquoi ? Parce que début février
2012, à la surprise de tous, naissait un "Comité
de haut niveau commun permanent UGTT-UTICA" (patronat),
pour la défense de l'économie tunisienne. Les premières
rencontres avaient lieu les 24 et 25 mai. Malgré les dix grèves
générales de ville chaque jour en mai, on voit pourquoi la
direction de l'UGTT refuse de donner suite à la demande
d'appel à la grève générale nationale de sa base ces
jours-là.
Le
résultat, c'est que le 25 mai, les instances régionales de
l’UGTT à Kef, Jendouba et à Gafsa en étaient réduites
a annoncer la tenue de grèves générales dans leurs régions
respectives, le 4 et 5 juin pour les premiers et sans date
encore à ce jour pour les seconds.
La réaction s’engouffre
dans l'espace laissé par les limites politiques de l'UGTT
Cette absence de politique nationale, cet émiettement et le
sentiment de chaos, de désordre qui en découle, facilitent
évidemment les attaques du gouvernement et des bandes
fascistes-salafistes au nom de dieu, de l'ordre, de la
patrie ou de la défense de l'économie.
Début février, dans une déclaration télévisée, le chef du
gouvernement indiquait que les pertes dues aux grèves étaient
estimées à 2,5 milliards de dinars,
affirmant que la loi serait appliquée avec rigueur contre
ces « actions de
protestations anarchiques » qui empêchent les gens de
travailler. Pour lui « le seul risque actuel en Tunisie était la situation économique et
sociale dégradée » en raison de ce qu’il a appelé
l’influence des « vestiges
de l’ancien régime» !
A partir de la mi-février, c'est un harcèlement permanent et un
bras de fer que le gouvernement engage avec les travailleurs
en attaquant directement l’Union Générale Tunisienne du
Travail. Ainsi, le 14 février, le pouvoir a décidé de préconiser
dans les entreprises publiques ou privées «la
mise en place de cellules d’écoute ayant pour mission
l’examen des préoccupations professionnelles et des problèmes
sociaux des salariés » avec une mission identique à
celle des syndicats. Le gouvernement tente de contourner
l'UGTT par la mise en place d'organismes professionnels du même
type que sous Ben Ali. Fin février, des militants d'Ennahda
profitaient des difficultés à la vie quotidienne provoqué
par une grève des éboueurs pour attaquer certains des
locaux du syndicat, y mettant le feu et déversant des
ordures devant son siège central. Début mars, le
gouvernement mène une vaste campagne contre l'UGTT, accusée
de susciter les grèves pour saboter l'économie. Face à
cela, les 3 et 4 mars, l'UGTT appelait la population à sa défense
devant la menace d'un coup de force du pouvoir. Les
manifestations de soutien étaient bien suivies mais l'UGTT
se gardait bien de profiter de son succès pour aller plus
loin.
C'est alors, le 7 mars, qu'intervint l'affaire du drapeau de la
Manouba qui fit reculer momentanément le gouvernement qui décidait
de se cacher alors derrière les bandes salafistes,
interdisant même le 2 juin une manifestation de dénonciation
des violences de ces mêmes bandes fascisantes.
Dans ce contexte, Ennahda est en difficulté, ses deux partis de
gauche soutien au gouvernement, Ettakatol et CPR sont en
crise, ce dernier a éclaté, les salafistes apparaissent de
plus en plus comme couvrant des voyous et trafiquants,
attaquant femmes, grévistes, locaux de l'UGTT ou du PCOT
comme à El Kabaria. En mai, Marzouki, ancien président de
la Ligue des Droits de l'Homme tunisienne, ne comptant plus
que sur une répression féroce telle que les journalistes
tunisiens disent n'avoir jamais connu même du temps de la
dictature, décidait à nouveau de prolonger de 3 mois l'état
d'urgence que Ben Ali avait instauré en son temps. Cet état
d’urgence permet l’instauration d’un couvre-feu, l’interdiction
des grèves, de réunion, le contrôle des publications dans
la presse, de la radio, de la télé, des présentations théâtrales
et cinématographiques... mais pas la condamnation des
violences salafistes. Pour donner un exemple du niveau de la
répression en mai, deux jeunes ont été condamnés chacun
à 7,5 années de prison simplement pour des propos choquant
la moralité et l'ordre public pendant que d'autres le sont
parce qu'ils appellent à la grève. En même temps,
Marzouki annonce une année blanche pour les augmentations
de salaire alors qu'il y a une forte inflation. Il privatise
les biens d’État de la famille Ben Ali qui a été
expropriée, prolongeant la politique du dictateur qui avait
privatisé 217 entreprises nationales, faisant simplement
glisser la propriété de certaines catégories privilégiées
à d'autres.
Il n'est pas étonnant que Marzouki vienne de déclarer à la
presse en ce mois de mai qu'il fait fréquemment un
cauchemar, celui d'une deuxième révolution qui s'approche
à grands pas.
Étant donné la contradiction qui traverse l'UGTT, malgré les
pratiques bureaucratiques du syndicat qui tente d'empêcher
toute discussion en son sein, voire même pour cela de
freiner les adhésions qui affluent, le débat et les
frictions vont bon train par endroit où le local du
syndicat pourrait tendre à devenir le siège de structures
embryonnaires des coordinations de ville. Cette situation de
l'UGTT qui concentre en son sein les forces ouvrières révolutionnaires
les plus déterminées à sa base et en même temps à sa tête
des courants au langage anti-impérialiste mais aux
pratiques nationalistes bourgeoises fait penser au syndicat
des mineurs, la COB, en Bolivie en 1952. Les mineurs armés
au travers de la COB ont pris les bases militaires et le
pouvoir le 11 avril 1952, dissolvant l'armée et mettant le
pays sous le contrôle de ses milices. Mais la direction de
la COB a remis ce pouvoir au MNR, un parti qui prétendait réaliser
un vaste programme d'indépendance nationale et de développement
économique associant patronat et prolétariat patriotes sur
fond de discours anti-impérialiste. Loin d'aider au développement
du pays, la nationalisation avec indemnisation a paupérisé
les travailleurs et les paysans, amené l'économie
bolivienne au bord du gouffre et rendu le pays encore plus dépendant.
L'UGTT semble emprunter les mêmes impasses de ce
nationalisme soit-disant anti-impérialiste de la petite
bourgeoisie et d'une partie de la bourgeoisie appuyés sur
la bureaucratie syndicale. Avec toutefois une situation
internationale différente. Nous y reviendrons.
Pour le moment, tant que le mouvement de la révolution est
ascendant, cela ne porte pas trop à conséquence, mais cela
pourrait avoir des conséquences dramatiques, rappelant en
cela l'expérience malheureuse du mouvement ouvrier en
Europe, entre les deux guerres. Il n'y a plus de place pour
une union nationale ni pour un syndicalisme pur lorsque se
pose l'alternative socialisme ou barbarie. Sans en être
encore là en Tunisie, on assiste toutefois à une course de
vitesse entre d'une part le pouvoir islamiste d'Ennahda et
ses alliés de gauche qui essaie de placer leurs hommes à
tous les postes de l'appareil d’État pour bloquer une
deuxième révolution, fourbir les armes de la contre-révolution
et d'autre part le mouvement populaire qui grandit à aussi
grande allure et dont la logique de dégager les petits Ben
Ali ouvre vers une troisième phase de la révolution, la
construction d'un contre pouvoir, dont on pressent qu'il
peut se construire au travers d'une ou plusieurs grèves générales,
totales ou partielles, et au travers des organes de ces grèves,
peut-être d'abord dans l'UGTT avant probablement qu'il ne
la déborde. Ce qui place au centre de la question
aujourd'hui, la volonté de se faire l'expression des appels
de la base ouvrière pour dégager tous les petits Ben Ali
au travers d'une grève générale, la porte d'une deuxième
révolution et de l'émancipation sociale.
2. L’Égypte, d'une
crise politique à la crise sociale
Les militaires et les partis islamistes se partagent depuis fin
janvier 2012 les pouvoirs institutionnels, collaborant
ensemble contre la révolution mais non sans conflits entre
eux.
Car la révolution continue,
ce qui trouble l'union sacrée armée/islamistes. La
pression populaire oblige l'armée à demander plus
d'engagement de la part des islamistes pour mettre fin au
mouvement, ce qu'ils essaient mais n'osent pas complètement
ayant peur de perdre leur soutien populaire et, à partir de
là, de ne plus avoir d'utilité pour l'armée. Un des
effets de cette pression populaire a été la montée des
salafistes qui dénoncent les Frères Musulmans pour leurs
compromissions avec l'armée, obligeant ces derniers à une
nouvelle contradiction entre leur radicalisation pour séduite les
salafistes et une modération pour convaincre les larges
secteurs de la population, laïcs ou chrétiens. Un jour ils
manifestent pour la révolution et contre l'armée, un jour
ils dénoncent les manifestations au nom de l'ordre
militaire et dieu. Ce qui provoque un certain nombre de
fractures en leur sein.
Les conflits au sommet entre armée et islamistes bloquent
les solutions institutionnelles, aggravant la crise
politique. Et la crise politique ouvre la voie à la
question sociale et à une solution de ce côté. Ainsi,
contrairement aux élections législatives marquées par la
seule opposition confessionnelle islamistes/libéraux, les
candidats aux élections présidentielles des 23 et 24 mai
ont centré leurs interventions sur les questions économiques
et sociales. Personne ne croit réellement et sérieusement
à leurs promesses sociales pour la simple raison que les
attributions et les pouvoirs du président ne sont pas
encore définis alors que le parlement des Frères Musulmans
a déjà accordé que le budget militaire ne sera pas contrôlé
par le pouvoir civil. Or 40% de l'économie est sous contrôle
direct des militaires condamnant tout pouvoir civil
institutionnel à n'être qu'un pantin dans leurs mains. Ce
qui fait que la crise politique se déporte vers celle de l'économie
et ses solutions sociales.
L'armée, l'économie
et la solution ouvrière
Si la plupart des forces révolutionnaires n'ont pas eu conscience
jusqu'au 11 février 2012 de l'importance de la question
ouvrière, l'armée elle, la connaît. Depuis la révolution
du 25 janvier 2011, le pouvoir militaire a pris pour cible
le mouvement ouvrier et n'a pas cessé depuis. Trois jours
seulement après la chute de Moubarak, le Conseil Supérieur
des Forces Armées dénonçait les grèves qui affaiblissent
l'économie. Le 23 mars 2011, une des premières lois du
nouveau régime interdisait les grèves, les assemblées générales,
les manifestations qui peuvent gêner l'économie avec à la
clef des peines de 1 an de prison et des amendes d'un demi
million de livres égyptiennes. Les Frères Musulmans, les
Salafistes, le Wafd, les libéraux, le grand Mufti, le pape
copte ne cessent de dénoncer les grèves qui, selon eux,
violent tout autant les intérêts communs nationaux que les
recommandations de dieu. Le terme "fi'awi",
"intérêts particuliers", sous-entendu intérêts
corporatistes égoïstes des ouvriers, est dénoncé très
quotidiennement dans presque tous les médias, surtout
depuis l'appel à la grève générale du 11 février 2012
par les étudiants. La propagande intense contre le "fi'awi" qui sabote "la
roue de l'économie" emplit les multiples chaines
satellitaires TV quelles soient religieuses, d’État ou
privées. Les radios, les journaux en sont plein, ne cessant
de répéter que les gens en auraient marre de la révolution,
qu'ils voudraient paix et stabilité, que les forces révolutionnaires
seraient minoritaires. Du coup, aujourd'hui,
beaucoup, comme l'écrivait l'écrivain Wa'il Gamal dans Al-Shorouq,
pensent que "le
peuple veut maintenant une autre roue de l'économie, car
celle-ci produit pauvreté, ignorance et maladie."
Les "grands" candidats aux présidentielles ont donc
multiplié les promesses sociales mais ont fait dans leurs
campagnes comme si l'armée n'occupait pas toutes les places
de l'administration et de l'économie, ce qui fait dire à
bien des révolutionnaires qui boycottent ces élections: "participer
aux élections, c'est collaborer avec l'armée." Qu'on
en juge.
L'adjoint au ministre de la santé pour les affaires financières
et administratives est le Major Général retraité Ashraf
Khairy avec d'autres généraux à différents niveaux du
ministère. L'équipement médical est aux mains du général
Nader Fouad. Le responsable de l'information est le Major Général
Salah Badr. Le Major Général Ismail Abdel Moneim Nagdy est
le responsable de l'Autorité du Développement Industriel.
L’Autorité des Nouvelles Communautés Urbaines qui
s'occupe notamment de l'attribution des terrains industriels
est aux mains de plusieurs généraux. Le secteur semi
public des Industries Alimentaires est tenu par les généraux
Magdy Amin, Ahmed Hassanein et Mohamed Hafez. Le superviseur
de la Compagnie nationale des Ciments est le Major Général
Mohsen Mostafa et l'armée possède la plupart des
entreprises de ciment, un de secteurs industriels les plus
importants d’Égypte. Dans le secteur du tourisme, le président
de "Égypte
Voyage" est le Major Général Fouad Sanad et la
compagnie "Tourisme,
Hôtels et Cinema Holding" est pleine de généraux
comme Essam Abdel Hady. La direction de l'Autorité
Administrative de Contrôle censée lutter contre la
corruption, est aux mains d'un général et ses sous-fifres
dans chaque gouvernorat en sont aussi. Le ministère de
l'environnement compte 65 généraux. Le directeur de
l'Autorité du Canal de Suez est l'officier retraité Ahmed
Fadel. Les compagnies du Canal et des ports sont aux mains
des généraux. Les positions des militaires dans le pétrole
sont du même type. Le responsable de l'Autorité
d'Urbanisation du Sinaï est le Major Général Mohamed
Nasser. La très grande majorité des gouverneurs,
responsables de districts ou de villes sont des militaires
à la retraite.
L'élection du président était présentée comme la clef de voute
de la transformation du pays, puisque les militaires étaient
censés rejoindre leurs casernes ensuite. Aujourd'hui, plus
grand monde n'y croit encore. La démocratie et l'islam qui
ont confondu leurs intérêts et dominé le paysage
politique jusque là ne paraissent plus être des solutions.
Quelle solution s'offre alors ?
Les luttes du prolétariat qui n'ont eu de cesse de poser concrètement
la question de l'armée offrent cette solution. Les vagues
de grèves qui traversent l’Égypte depuis la révolution
sont les plus importantes de son histoire. De plus, elles se
donnent comme objectif, en même temps qu'elles avancent
leurs revendications économiques, de "dégager"
tous les petits Moubarak, à tous les niveaux de
l'administration ou des entreprises, c'est-à-dire bien
souvent les militaires, jusqu'à avoir réussi dans deux
entreprises, à les "dégager" réellement. Une
des premières protestations ouvrières après la révolution,
en février 2011, pour des augmentations de salaires, avait
été également dirigée par 1500 ouvriers de
l'Organisation Arabe de l'Industrialisation contre son
directeur, le Major Général Hamdy Waheebad. En août, ils
étaient 16 000 dans l'action. En 2011 toujours, ce sont 5
000 ouvriers des entreprises militaires N°9, 63 et 200 qui
entrent en grève associant revendications économiques à
celles, politiques, de "dégager" leurs dirigeants
militaires. En février 2011 également, 2 000 travailleurs
et ingénieurs du secteur pétrolier protestaient contre les
conditions de travail et contre la militarisation
progressive de leur travail. Les mois suivants, d'autres
milliers de travailleurs des entreprises Petrojet et
Petrotrade du même secteur entraient également en lutte.
On voyait encore ces mêmes ouvriers du pétrole fin mars
2012 continuer à défier l'armée et le Parlement. Fin mars
2012 encore, la plupart des grèves touchaient beaucoup de
secteurs contrôlés par l'armée, usines militaires ou
entreprises du port et du canal de Suez. Depuis le 20 mars
2012, un camp de tentes a été érigé devant le siège de
l’Organisme des impôts avec comme slogans principaux: « A
bas le règne des militaires : notre organisme n’est
pas un camp !» Il faut dire que l’épouse de
Sami Anan, le numéro 2 du Conseil Supérieur des Forces Armées,
Mounira Al-Qadi Radi, est présidente du secteur des zones
fiscales au sein de l’Organisme. Le 3 mai, l'armée
intervenait à Suez, après bien d'autres fois, pour libérer
le gouverneur militaire de Suez séquestré par les ouvriers
du port qui dénonçaient la corruption et voulaient sa démission.
Il y a un mois, ce sont ceux des usines 45 et 999 rejoints
par ceux de Muhemmat à Gharbiya, au total des dizaines et
des dizaines de milliers de travailleurs de secteurs
militaires, qui ont demandé avec des hausses de salaires
que leurs dirigeants militaires soient "dégagés"
pour corruption.
Revendications identiques contre les anciens du PND. Les grévistes
de Suez demandent le jugement du magnat de l'industrie de la
céramique, ancien du PND, impliqué dans la "bataille
des chameaux". Les employés du Gaz du Caire exigeaient
mi mai de récupérer les locaux du PND. Les grévistes des
transports publics demandent la purge de la police... Fin
mars, les 40 000 employés de bus du Caire entraient en grève
réclamant clairement la renationalisation de la compagnie
des bus, comme plus généralement de l'économie, en
chantant "ils
sont habillés à la dernière mode et nous vivons à dix
dans une seule pièce” signifiant là le succès électoral
des socialistes nassériens de mai.
Dès lors, la répression traditionnelle ne suffisant plus, le
pouvoir lançait encore plus violemment ses bandes
fascisantes de voyous armés de sabres et couteaux contre
les dirigeants du syndicat des employés de bus comme contre
les travailleurs de Suez en lutte ou les étudiants grévistes
de l'université du Caire. Les forces s’arque-boutent
autour de la question de l'armée. Le 6 mai, les patrons se
sont sentis obligés de manifester pour dire leur soutien à
l'armée pendant que le même jour, les jeunes manifestaient
eux-aussi mais pour exiger la libération des détenus fait
prisonniers lors des émeutes des 2 aux 5 mai de la place
Abbassiya au Caire et qu'enfin encore le 6 mai, le parlement
dominé par les islamistes autorisait les tribunaux
militaires à continuer à juger les civils
malgré le large mouvement de protestation à ce sujet.
Le premier tour des présidentielles qui a qualifié pour le second,
les 16 et 17 juin, un candidat de l'armée et un candidat
des Frères Musulmans et le verdict du procès de Moubarak
qui l'a condamné à la prison mais a amnistié ses fils et
les principaux responsables de la répression de son régime
a conduit à nouveau du 2 au 5 juin, les foules révolutionnaires
dans la rue dénonçant tout à la fois le jugement du
tribunal mais aussi le résultat des élections considéré
comme truqué ainsi que la candidature d'un général,
ancien premier ministre de Moubarak. Malgré les Frères
Musulmans, qui ont participé à ces manifestations par démagogie
électoraliste parce qu'ils espèrent tout de ce scrutin
mais craignent surtout sa déligitimation, le ton dominant
place Tahrir était au boycott du deuxième tour et à la démocratie
directe, réclamant un conseil présidentiel de salut public
Morsi, Fotouh, Sabbahi et des tribunaux révolutionnaires.
Mais comment passer d'une à des places Tahrir partout ?
Comme
en 2011, une crise de la hausse des prix, des pénuries et
des subventions
La hausse dramatique des prix de presque
tous les produits de première nécessité ces derniers
temps a provoqué une onde de choc dans la population qui a
contribué à faire de la question sociale une question de
premier plan. Par ailleurs des pénuries répétées
d’articles essentiels, comme les bouteilles de gaz qui
jouent un rôle vital dans la vie quotidienne en Égypte, éclatent
régulièrement formant le terreau d’une révolte sociale
d'ampleur. Tout le monde se souvient que l’explosion des
prix des produits alimentaires de base, la menace que
l'arrivée du fils de Moubarak au pouvoir signifie la
suppression des aides d’État aux produits subventionnés
ont donné l'étincelle de la Révolution du 25 Janvier.
Aujourd’hui, la misère est telle, alors que le
gouvernement s'interroge à nouveau sur la suppression des
subventions qu'elle peut réveiller "l'intifada de la faim de 1977" car la hausse
des prix et la pénurie enrichissent les plus
riches et appauvrissent les plus pauvres.
Le prix du poisson a augmenté de 170%, celui de la viande gonfle
alors que les salaires n'ont quasiment pas bougé. L'huile,
le sucre augmentent aussi. Autrefois, seuls les plus pauvres
achetaient le pain subventionné. Mais depuis plusieurs mois,
le prix de la farine a été presque multiplié par trois.
Chaque matin, la foule – et les tensions- ne cessent de
grossir devant les boulangeries subventionnées où le pain,
dix fois moins cher que le pain normal, est même devenu
presque inaccessible pour nombre des ménages, y compris des
classes moyennes.
Il en va de même devant les dépôts de gaz. La pénurie des
bonbonnes de gaz s’est accentuée et le prix de la
bonbonne a doublé. Tous ceux qui ont opté pour des chauffe-eau
électriques se trouvent pris dans le piège de la hausse
des prix vertigineuse de l’électricité avec les vagues
de chaleur torride qui frappent le pays en été,
l'amplification de l’utilisation des ventilateurs et des
climatiseurs et une hausse prévue du prix de l'essence
d'environ 100% début juillet. Les experts gouvernementaux
mettent alors en cause la politique de subvention des prix
au prétexte que cela favoriserait le marché noir et que
les caisses sont vides. L'été pourrait bien être "chaud".
Vers un été chaud
et des places Tahrir partout ?
Les résultats du premier tour des présidentielles,
malgré la qualification pour le second tour des seuls
candidats de l'armée et des Frères Musulmans, sont une
claque politique pour ces derniers.
D'abord, la faible participation –
45,7%, officiellement, beaucoup moins qu'aux législatives -
malgré les 70% pronostiqués le plus souvent pour ce
scrutin qui était présenté depuis des mois par tous les
partis[19]
comme l'élection capitale, la clef de la situation, montre
la perte de confiance grandissante des égyptiens dans les
solutions électorales institutionnelles.[20]
Ensuite le vainqueur politique est assurément
celui que personne n'attendait, le socialiste nassérien
Hamdeen Sabbahi. Il n'est arrivé que troisième avec 21%
des voix contre 25 et 24% respectivement aux candidats des
Frères Musulmans, Morsi, et de l'armée Shafiq. Mais
l'ampleur des fraudes lui a probablement volé la première
place. Surtout, il est très nettement arrivé en tête dans
les grandes villes, Le Caire, Alexandrie[21],
Port-Saïd... c'est-à-dire que la pointe avancée de la révolution
qui joue un rôle déterminant et entraînant dans le
processus révolutionnaire a voté très largement Sabbahi.
Le vote islamiste s'est littéralement effondré[22]
puisqu'il passait de 70% aux législatives à 25% pour les
Frères Musulmans aux présidentielles, 42% au total pour
les islamistes si l'on rajoute le résultat du candidat
islamiste dissident révolutionnaire, Abol Fotouh. Les villes et les quartiers ouvriers ont voté tout particulièrement
Sabbahi révélant clairement des tendances de classe.
On peut s'attendre que la participation au deuxième tour les 16 et
17 juin -s'il a lieu - soit encore plus faible puisqu'il
apparaît clairement à beaucoup que le choix entre l'armée
et les islamistes n'en est pas vraiment un. Comme le disait
un ouvrier dans le Sinaï, "si ce sont Shafiq ou Morsi qui sont élus, on fera des places Tahrir
partout, dans toutes les villes et villages". Une
opinion partagée par beaucoup et qui explique probablement
que du 2 au 5 juin et encore le 8, lors des manifestations
qui ont accueilli et dénoncé le verdict du jugement de
Moubarak, la participation ait non seulement été massive
et doive se poursuivre encore ultérieurement, mais qu'on y
ait retrouvé aussi la ferveur révolutionnaire des débuts.
La non condamnation des fils de Moubarak comme des hauts
responsables de l'appareil de répression, la morgue des
avocats de Moubarak assurant qu'ils étaient sûrs d'obtenir
sa relaxe en appel malgré sa condamnation a vie en première
instance, l’arrivée du président au pouvoir sans prérogatives
déterminées et l'impasse dans laquelle cela engage le pays,
le chaos juridique et constitutionnel sans précédent qui règne,
la rumeur sur l’intention du Conseil militaire de
promulguer une déclaration constitutionnelle « complémentaire
» définissant avec plus de détails les délimitations des
pouvoirs du président élu mais surtout les prérogatives
de l'armée, tout cela contribue à une situation critique où
l'armée de plus en plus contestée pourrait être tentée
par un coup de force avant que son autorité ne soit plus sérieusement
ébranlée. Et même
s'ils retournaient aux casernes, les militaires
n'abandonneront pas leur pouvoir économique comme ça.
L'été 2012 mêlant crise politique et sociale pourrait bien être
celui d'un affrontement de plus en plus marqué entre deux
camps, représentés d'un côté par les militaires et les
partis islamistes et de l'autre par les révolutionnaires,
les travailleurs, les étudiants et les Ultra.
Évidemment, tout autant l'UGTT que les socialistes nassériens de
Karama, même s'ils peuvent être poussés par le
bouillonnement populaire plus loin qu'ils ne le voudraient,
ne veulent pas remettre en cause le capitalisme
ni même se faire les porte-paroles de ces revendications
ouvrières de dégager tous les petits Ben Ali ou Moubarak,
chemin vers une deuxième révolution sociale. Mais une
nouvelle génération de jeunes militants est apparue issue
des classes pauvres, des quartiers populaires, des usines.
Les 74 morts du massacre du stade de Port Saïd le 2 février
2012 ont eu comme effet d'unifier les clubs de supporters de
foot "Ultras" et de se définir plus consciemment
comme une part de la révolution alors que jusque-là, ces
jeunes issus des milieux pauvres, bien qu'ayant joué un rôle
de premier plan dans l'action, avaient toujours refusé de
faire de la politique. Les "Chevaliers Blancs" de Zamalek et les ultras "Alhawy"
ont organisé un meeting commun avec plus de 3 000
participants décidant d'une espèce de parti commun, les
"Ultras de la
place Tahrir". Leur dernière chanson "Oh
CSFA, fils de pute", fait directement référence
aux travailleurs, ces derniers devenant pour la première
fois une icône de la culture "Ultra". Une révolution
mentale s’opère en leur sein, les faisant évoluer de
simples soutiers de la révolution à celui de candidats au
leadership révolutionnaire, cherchant en quelque sorte leur
Malcom X et les faisant applaudir par la foule lors de leur
arrivée place Tahrir. Une autre révolution mentale
traverse également les milieux étudiants et lycéens ainsi
que les militants ouvriers syndicaux les plus avancés qui
les pousse depuis le 11 février vers le programme
socialiste y cherchant les outils intellectuels d'une deuxième
révolution, même si la direction du syndicat, elle, semble
chercher plutôt du côté de l'UGTT.
L'enjeu de la période à venir se trouve là. Y aura-t-il des
hommes et des forces politiques parmi les militants ouvriers,
les étudiants, les intellectuels, les Ultra, les
socialistes révolutionnaires pour construire cette
politique ouvrière indépendante de "dégager les petits Moubarak" ?
La question pourrait bien trouver sa réponse à l'échelle
internationale.
3. Des ruptures qui
ouvrent sur un autre monde
Spécificités arabes
ou révolutions qui ouvrent à la lecture des trente dernières
années ?
Jusque là, même si les "indignés" avaient porté l'écho
des révolutions arabes au-delà de leurs frontières, la
logique de ces révolutions semblait pour beaucoup
appartenir à une aire culturelle spécifique. Pour
justifier cela, il a souvent été dit que les raisons des révolutions
arabes reposaient sur une contradiction spécifique à ces
pays, entre, d'une part, des régimes dictatoriaux sclérosés
et d'autre part une jeunesse hautement scolarisée, ouverte
aux influences du monde moderne, mais au chômage. On a
cherché également dans les particularités de régimes économiques
rentiers, que ce soient la rente pétrolière ou celle d'un
système "compradore" qui bloqueraient par la
corruption et le clientélisme tout développement économique,
les causes spécifiques de ces révolutions. Dans cette
logique "arabisante", on a déconnecté ces
surgissements des résistances ouvrières européennes, ne
voyant qu'une coïncidence dans la simultanéité des révoltes
sur la planète et dans le monde arabe.
Il est vrai que les révolutions arabes n'ont pas été provoquées
par la crise de 2007-2008 qui est, par contre, en train de
pousser en Europe les prolétaires dans les rues. Les révolutions
égyptiennes et tunisiennes ont commencé avant la crise.
L’Égypte avait connu un mouvement de contestation
politique démocratique dans les années 2004-2006 suivi par
une large vague de grèves en 2006-2008, qui ont créé la
base du renversement du régime. En Tunisie, ce sont les
soulèvements ouvriers dans le bassin minier de Gafsa en
2007-2008 qui ont jeté les fondements de la révolution. En
Europe, par contre, les toutes premières manifestations
datent de décembre 2008 avec la révolte de la jeunesse
grecque suivies au printemps 2009 par les manifestations
contre les licenciements en France, la grève générale aux
Antilles françaises, etc.
Cependant, raisonner ainsi serait une erreur, car ce serait faire
de la crise financière une cause, un début alors qu'elle
ne l'est que secondairement, étant principalement un
aboutissement, fonctionnant comme un dévoilement des
mutations du monde des 30 dernières années, où, sous
l'influence d'une crise de surproduction mondiale née au
milieu des années 1970, la planète s'est transformée, de
Pékin à Tunis, en passant par Le Caire, Athènes ou
Madrid. Là est la cause.
On sentait vaguement que tout avait bougé ces trente dernières
années, la crise l'a révélé, mais ce sont les révolutions
arabes qui en donnent le sens. On pressent tout d'un coup à
travers ce prisme arabe, la portée politique des milliers
de gratte ciels surgis de terrains vagues à Shenzen ou
Padong. Trois usines chinoises du Taïwanais Foxconn,
principal fournisseur d'Apple, comptent deux fois 200 000
salariés, 400 000 sur son seul site de Shenzen où on se
suicide en se défenestrant de ses buildings. Continueront-ils
à le faire longtemps ? Hong-Kong est la ville qui compte le
plus de millionnaires au monde mais aussi 250 000 pauvres
qui vivent dans les gaines d'ascenseur ou d'aération des
tours. Sans conséquences ? Sao Paulo abrite sur ses gratte-ciels
plus de 250 héliports pour ses millionnaires qui préfèrent
se déplacer ainsi plutôt que de se risquer dans les rues
livrées à la violence de leur système social inégalitaire
comme on n'en a jamais vu. Chacun des 53 000
milliardaires indiens possède au minimum 200 000 fois
le revenu moyen de 5 000 roupies (95 euros) par mois.
Et 500 millions d’Indiens ne disposent pas d’un euro (65
roupies) par jour pour vivre comme 40% d'égyptiens mais 250
millions d'indiens ont un téléphone portable et un taux du
même ordre en Égypte. Gurgaon, banlieue ouvrière de Dehli,
sorti de rien, qui abrite plus de mille entreprises
automobiles et 500 000 ouvriers dans sa seule zone
industrielle, prend tout d'un coup un caractère politique.
Les enfants abandonnés survivent dans les égouts ou les
canalisations des systèmes de chauffage urbain à Oulan
Bator. Comme dans les égouts de Vienne, la
"rouge", à la fin du XIXème siècle, mais sans
internet. On travaille dans les ateliers du delta de la rivière
des perles comme il y a 100 ans dans les abattoirs de
Chicago, mais avec 300 millions d'ouvriers chinois. La foire
de Paris parait une dinette de poupées à côté de la
foire exposition d'Yiwu et ses 50 000 exposants permanents
dans le monde oxymorique et orwellien du "socialisme de
marché". La Chine est la deuxième puissance mondiale
par son PIB, le Brésil ravit à la Grande Bretagne sa sixième
place... Le mur de Berlin est tombé, mais de nouveaux s'élèvent
à l'échelle mondiale comme jamais, entre ceux qui ont des
millions de dollars et ceux qui ont moins d'un euro par jour.
La tectonique des
plaques que révèlent les révolutions arabes annoncent
bien d'autres séismes
En trente ans, la libéralisation économique mondiale cassant
toutes les vieilles protections a poussé de nouveaux prolétaires
à chercher une vie meilleure dans les villes et a conduit
à une urbanisation débridée et à des migrations massives.
L'Égypte a une urbanisation et une densité de population
six fois plus importante que celle de la Hollande, pourtant
la plus forte d'Europe. Le Caire est passé de 3 millions
d'habitants dans les années 1960 à 20 millions aujourd'hui.
Sanaa, la capitale du Yémen, de 50 000 en 1960 à 2 500 000
aujourd'hui. Une foule de villes moyennes et petites a émergé.
En 1950, sur les 100 millions d'habitants du monde arabe,
26% vivaient en ville, aujourd'hui ils sont plus de 66% pour
les 350 millions actuels. Près de 55% des habitants de
notre planète sont citadins aujourd'hui. La Chine a 80
villes de plus de 1 million d'habitants, un monde infiniment
plus politique que celui qui a créé la démocratie
parlementaire qui ne comptait autour de 1900 que 14% de
citadins. Nos révolutions industrielles et urbaines européennes
du XVIIème au XIXème siècles étaient des jeux d'enfant
par rapport à ces trois siècles ramassés en seulement 30
ans.
En même temps, la mobilité des hommes et des marchandises a été
multipliée par mille depuis 1800. Des vagues d'immigration
d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'humanité
ont créé de nouveaux collectifs cherchant à briser les
vieilles institutions dans lesquels ils sont enfermés.
L'urbanisation et l'émigration s'accompagnent d'une véritable révolution
matrimoniale qui sape les bases des régimes dictatoriaux
comme les assises de la religion traditionnelle fondés tous
deux sur la famille patriarcale, le mariage en bas âge et
entre cousins germains, la soumission des femmes et un taux
de fécondité élevé. En 30 ans en Égypte – mais l'évolution
est semblable dans tous les pays arabes - avec une
urbanisation considérable et une immigration importante,
bien des femmes se sont mis à travailler, l'âge du mariage
qui était de 17-18 ans pour les femmes est passé à 23 ans,
27 pour les hommes. Ce qui signifie un célibat plus long.
La fécondité est passé de 6 à 7 enfants à environ 3. On
estime le taux de contraception à près de 60%. Le nombre
d'avortements, encore interdits, explose. L'écart d'âge
traditionnellement élevé entre époux diminue comme
l'habitude du mariage endogame. La durée du mariage, assez
courte du fait des facilités de répudiation pour les
hommes, s'allonge. La polygamie a quasiment disparu. La
place Tahrir où cohabitaient hommes et femmes, a donné un
visage à ce chamboulement qui traverse tout le monde arabe
et ébranle ses régimes dans leurs fondements. Cette
cohabitation sans problèmes, montre que ces archaïsmes ne
sont pas inscrits au plus profond de la "nature humaine"
mais ne tiennent que par ces régimes dictatoriaux qui y
trouvent leurs assises. Mais ces archaïsmes ne concernent
pas que l'aire arabe, ils sont planétaires. La plaque de la
société bouge et heurte celle des institutions et des
coutumes annonçant bien des séismes; du Québec à l’Égypte,
la propriété, la famille, le mariage, l'héritage, les
frontières nationales, l'éducation, les formes de
collectivités, la représentation politique... sont tous en
crise.
C'est pourquoi, sur ce fond social, des dictatures réputées
indestructibles tombent en quelques semaines. Des peuples
que les experts et les préjugés vouaient à des arriérations
séculaires se placent à l'avant-garde du mouvement. Des
jeunes dont on se désolait de leur apolitisme, leur apathie
ou leur conformisme, montrent non seulement un courage
incroyable mais font bouger les lignes à tel point que nos
habitudes de pensée ont du mal à suivre le rythme.
Regardez la jeunesse israélienne qui a su entraîner la
population entière du pays en clamant clairement qu'elle
s'inspirait des arabes de la place Tahrir. Cette jeunesse,
d'un pays au PIB en pleine progression, aux industries high-tech
qui feraient pâlir d'envie leur équivalent européen,
s'enthousiasme pourtant pour la jeunesse misérable d’Égypte
et de Tunisie et laisse entrapercevoir, parce qu'elle
choisit les études et la vie plutôt que le budget
militaire et la guerre, les jalons d'un remodelage géopolitique
de toute la région que des décennies de combats
nationalistes avaient conduit à l'impasse.
C'est le même cri que les "indignés" espagnols, des USA
ou d'Allemagne avec "Occupy", ont lancé à la
face du monde, dénonçant la farce qu'est devenue la démocratie
parlementaire aux mains des banques et le scandale de cette
société qui ne sait qu'offrir des jeux sans même le pain
aujourd'hui. Ce sont encore les Grecs qui refusent de payer
les dettes illégitimes d'une société passée entièrement
aux mains de la finance. C'est toujours le même mouvement,
au Chili ou au Québec où la jeunesse en réclamant le
droit aux études, à la vie, entraîne la population contre
l'austérité. En Grande Bretagne ses émeutes montrent la nécessité
d'un repartage des richesses. Ce sont les grèves et luttes
à répétition en Italie et l'appel par le plus grand
syndicat de la métallurgie, la FIOM, à des AG ouvertes sur
les places publiques pour qu'ouvriers, chômeurs et étudiants,
décident ensemble de leur avenir. C'est le peuple roumain
qui fait tomber son gouvernement après un mois de luttes.
En Espagne et au Portugal, le rythme des résistances
ressoude la péninsule ibérique. Ce sont les mouvements
sociaux qui unifient à nouveau par leurs préoccupations
communes la Slovénie, la Bosnie, la Serbie, la Croatie ou
le Monténégro après plus d'une décennie de guerres
fratricides. L'ensemble posant les premiers jalons d'une
nouvelle unification de l'Europe par en bas.
C'est le même esprit qu'on retrouve dans le LKP en Guadeloupe
jusqu'au succès initial du NPA qui dénotait de cette même
envie de se débarrasser de vieux oripeaux politiques et
institutionnels dont tout le monde sent qu'ils entravent
l'action et la pensée. Cette même insurrection des esprits
s'est emparée des candidatures Mélenchon ou Syriza en Grèce,
Sabbahi en Égypte. Nous avions déjà connu cet esprit
subversif avec la jeunesse lycéenne lors du mouvement des
retraites en France. Déjà, on pouvait déceler dans le
dynamisme "surprenant" de jeunes équipes
syndicales et militantes balayant les frontières qui séparent
leurs chapelles en refusant des manifestations "plan
plan", l'air d'un temps nouveau qu'on retrouvera demain.
C'est pourquoi ces révolutions arabes durent.
Des
révoltes, des
processus révolutionnaires ou des révolutions ?
C'est par ce contexte qu'on peut parler de révolutions arabes et
pas seulement de révoltes ou même de "processus"
dont on ne sait pas bien quels seraient ses aboutissements.
C'est par ce contexte qu'on peut les observer, les penser et
comprendre sur quel chemin elles s'engagent, nous engagent.
La crise de surproduction a fait glisser le caractère emblématique
de la production vers une zone Asie-Pacifique. L'URSS a éclaté
mettant fin à la main mise du stalinisme sur la pensée
ouvrière. L'idéologie nationaliste des révolutions
coloniales s'est usée. De l’Égypte à l'Inde, mais aussi
dans le monde occidental, depuis les années 1990, les
quelques protections étatiques des pays pauvres décolonisés
et de plus amples en Occident se sont effondrées ou dégradées
face à la déferlante de privatisations et la mise en
concurrence des travailleurs du monde.
L'économie des pays riches du Nord a mis les travailleurs du Sud
à la merci des forces du marché dépendant des
investisseurs du Nord pendant que des travailleurs du Nord
ont perdu leur travail mis en concurrence avec les bas
salaires du Sud. L'économie de rente et le clientélisme
dictatorial des sociétés arabes peut expliquer bien des émeutes.
Mais c'est la vague de privatisations, la destruction des
protections étatiques, des services publics, le blocage de
l'avenir pour les jeunes diplômés dans le contexte mondial
des trente dernières années, celui de la crise de
surproduction, de l'extension et modification de la géographie
industrielle, l'urbanisation, les révolutions familiales,
matrimoniales, communicationnelles, migrationnelles et les
évolutions de l'espace oppositionnel public mondial pour
finir par la financiarisation de toute la société, qui
expliquent les révolutions.
Bien
sûr, tout cela n'est pas mécanique, linéaire, ni sans
dangers. Qui aurait pu imaginer il y a 6 mois, dans
l'enthousiasme de ces révolutions dites Facebook et de la démocratie,
que la première loi du nouveau pouvoir en Libye serait de rétablir
la polygamie ? Qui aurait pu prévoir ce raz de marée électoral
des islamistes en Tunisie ou en Égypte alors que ces
derniers étaient absents de cette révolution ? En Libye,
les guerres fratricides entre tribus et l'éclatement du
pays sont à l'ordre du jour. En Syrie, le conflit en cours
peut tourner à une guerre civile s'étendant au Liban ou à
l'Irak faisant éclater la région en autant de micro-communautés
dominées par des chefs de guerre en conflit permanent
s'appuyant sur des divisions confessionnelles ou ethniques.
Au Bahreïn où les conflits sociaux ne cessent pas, les
luttes chiites-sunnites sont doublées de vieilles
revendications territoriales sur cette ancienne province
perse volée par la Grande Bretagne, qui peuvent en faire le
lieu de conflits voire d'une guerre entre les ambitions de
l'Arabie Saoudite et celles de l'Iran. Avec extension régionale
à d'autres problèmes, ce que les bruits de botte en
Jordanie ou Israël semblent confirmer. Il peut en être de
même au Sahel où la fragilité des États, de la
Mauritanie au Mali en passant par le Niger ou l'Algérie
peut laisser la place à un chaos barbare. Et l'apparition
de bandes fascisantes en Tunisie est inquiétante pour
l'avenir comme leur écho de repli national d'extrême
droite en occident. Bref, l'ébranlement de la région peut
amener bien des retours en arrière.
Pourtant la situation n'est pas la même qu'en 1979 au moment de la
main-mise théocratique de Khomeiny sur la révolution
iranienne. Le monde a bien changé. L'espace public
oppositionnel qui s'est développé à partir du milieu des
années 2000 en Égypte ou en Tunisie n'est pas à séparer
de celui qu'on voit surgir à peu près aux mêmes dates à
l'échelle mondiale. Nous n'avons pas assisté à des émeutes
sans but emplies de désespoir. Nous assistons au début
d'une prise de conscience pour un autre monde. Les places
Tahrir ou d'autres sont pleines d'espoirs, de générosité,
d'utopies, pleines de gens se répondant les uns aux autres
par delà les frontières qui ne veulent plus vivre sous le
règne de rapports humains marchandisés. Les grèves et
manifestations ouvrières sont pleines de rage donnant un
caractère explosif aux "indignations"
socialisantes. Les révolutions arabes durent,
s'approfondissent et vont s'ouvrir encore plus parce
qu'elles participent du même réveil du monde.
On a assisté ces dernières décennies à un essor fantastique des
moyens de communication et d'Internet, faisant s'estomper
puis s'effondrer de nombreuses frontières et lignes de démarcation
traditionnelles en même temps que sont nées des
institutions, des émotions, des opinions mondiales. Les
forums sociaux mondiaux ont fait entrer en contact des
dizaines de milliers de personnes et échanger leurs expériences.
La décentralisation de la production des connaissances et
de la recherche, amplifient les évolutions scientifiques,
techniques et culturelles, l'uniformisation culturelle
facilite la diffusion de l'interprétation commune des problèmes,
l'écologie déplace la réflexion à une échelle planétaire
et marque toutes les autres sciences de cette emprise. Le décloisonnement
qu'on peut percevoir à nouveau dans les milieux
universitaires depuis 10 ou 15 ans participe de ce mouvement
d'une science pour la planète donc pour les gens, à partir
des gens. Cette domination des Sciences de la Vie et de la
Terre entraîne la science à sortir à nouveau de son
illusion de neutralité. L'interdisciplinarité, la World
History - l'histoire globale - la sociologie des mouvements,
le système des genres, l'archéogénétique,
l'anthropologie cognitive ou historique, la psychologie et
la biologie évolutionnistes, la paléopathologie, etc.,
font partie des éléments constitutifs de cette situation,
cette période, au même titre que la place Tahrir, les
indignés, le NPA ou le FDG et, par là, donnent de
nouvelles bases pour que le marxisme rompe avec le déterminisme
rationaliste mécaniste qui lui a servi d'ersatz pour des générations
militantes.
Après Hegel à Haïti, ne devrait-on pas commencer à imaginer
Darwin à Shangaï, Marx à Gurgaon ou Bangalore ? Ou, plus
modestement, un échange entre socialistes révolutionnaires
de ces pays.
L'avenir des
travailleurs européens se joue aussi bien à Athènes qu'au
Caire ou à Tunis
Dans l'acte deux de la révolution en Égypte et Tunisie, la longue
patience du peuple, les éléments les plus avancés ont
donc rompu avec trois grandes illusions qui généraient
leur patience. Ces ruptures ouvrent la porte à une quatrième
rupture et, par là, une troisième phase de la révolution.
La perte de confiance dans les institutions - armée, élections,
religion - additionnée à une effervescence sociale qui
continue de plus belle pour "dégager
tous les petits Moubarak ou Ben Ali" ouvre le
chemin à une rupture avec le capitalisme. Cela signifie
tout à la fois dans ce bouillonnement général que les
luttes auront un contenu différent, que les polarisations
se feront autour des classes fondamentales et que les
structurations des luttes prendront la forme de contre-pouvoirs.
Ce mouvement entrera alors plus clairement en résonance
avec les causes profondes des autres ébranlements du monde,
entraînant l'ensemble dans une phase d'influences réciproques
plus nettes.
La rupture avec l'armée nationale ouvre la porte, tout particulièrement
en Égypte, à deux évolutions psychologiques et politiques:
une rupture avec le nationalisme qu'elle symbolisait et une
rupture avec le régime de propriété puisqu'en Égypte
l'armée a la main sur environ 40% de l'économie. Le retour
à un équilibre économique entre le secteur public et le
secteur privé que porte le socialisme nassérien mais aussi
celui de Mélenchon, de Syriza ou de l'UGTT en sont une
illustration. Mais on voit bien comment la mondialisation économique
et sociale depuis 30 ans, n'offre pas un grand avenir à ces
formes éculées de socialisme national. Il est probable
qu'on voie derrière cette première étape "socialisante",
la renaissance d'un socialisme plus global mieux en phase
avec les évolutions de ces derniers temps, pan-arabique ou
encore plus internationaliste, renforçant de nouveaux
courants socialistes révolutionnaires internationalistes
prolétarisés, rajeunis et renouvelés.
La rupture avec l'islam politique, elle, ouvre d'autres portes sur
l'avenir, tout aussi considérables et complémentaires sur
le plan culturel, la largeur d'esprit, notamment les
relations entre les hommes et les femmes, le type de famille,
le mariage, l'héritage, l'éducation, la déterritorialisation
des nouveaux collectifs humains... c'est-à-dire ouvre sur
un langage commun à l'humanité qui dise le contraste
croissant entre l'évolution de la société et la sclérose
de ses coutumes et ses institutions.
La rupture avec les illusions sur la démocratie parlementaire
ouvre sur de nouvelles formes de démocratie directe, on l'a
déjà vu avec les réseaux sociaux ou les
"places" que portent les "indignés",
mais bien d'autres encore demain. La convergence de ces
ruptures dans le cadre d'une troisième phase
anticapitaliste ouvre dés lors l'ensemble vers une phase où
les hommes deviendraient acteurs de leur propre histoire par
la construction d'organes adaptés de contre pouvoirs, que
ce soient des associations de quartiers, syndicats et ONG
diverses, des comités de grèves d'usines, ou de villes et
leurs coordinations à des échelles, pourquoi pas,
transfrontalières. En effet, si la "révolution"
s'invite à nouveau par la porte arabe dans les luttes et débats
du mouvement ouvrier du vieux monde, la "classe ouvrière"
et ses valeurs anticapitalistes, à défaut encore d'un véritable
programme socialiste, ne peuvent que s'inviter, elles aussi,
dans les questions d'une révolution arabe en train de se
chercher du côté d'une communauté des "producteurs
associés".
Le prolétariat et le
communisme sont plus que jamais d'actualité
La situation pose à nouveau la question d'identités qui ne soient
plus seulement locales ou même régionales mais planétaires.
La mondialisation, l'internationalisation, le fantastique
recouvrement du globe par l'industrie posent la question du
prolétariat. Un prolétariat qui ne peut exister qu'en étant
révolutionnaire et international. Les révolutions arabes,
les "indignés" et les résistances ouvrières
européennes convergeant vers un tout, ne seraient-elles pas
le premier pas d'une renaissance de cette conscience prolétarienne
révolutionnaire internationale ?
Après tout, Marx ne considérait-il pas que la Commune de Paris de
1871 était une révolution prolétarienne malgré la quasi
absence d'ouvriers en son sein par la préfiguration des
temps à venir qu'elle signifiait. Les évènements arabes
seraient ce premier pas parce qu'ils révèlent
l'urbanisation/industrialisation/mondialisation de la planète
et ses conséquences.
Un monde en effet qui n'a jamais été aussi petit pour les
capitaux, mais en même temps dont les structures politiques
n'ont jamais autant être des entraves à la circulation des
pauvres et des ouvriers. Dans bien des pays pauvres, les
nations et les idéologies nationales, pourtant hier libératrices,
sont devenues de vastes prisons physiques et idéologiques où
le nouveau prolétariat mondial est condamné à survivre ou
mourir. Plus de 22 millions d'arabes ont émigré ces dernières
décennies, souvent dans les pays du Golfe mais aussi en
Europe ou encore plus loin. Dans le désespoir qui frappe
ces pays, il n'y avait qu'un échappatoire: fuir à l'étranger,
y travailler, faire des études, partir, rêver d'un
ailleurs meilleur. Mais les frontières européennes
deviennent hermétiques et avec les conflits militaires, une
bonne partie des émigrés dans les États du Golfe est
revenue. Un enfermement qui n'a pas été pour rien dans les
mouvements actuels et dit leur trajectoire à venir. Dans
l'ancien Régime, les notables locaux européens ont servi
pendant très longtemps d'intermédiaires dans les luttes
entre les classes populaires et le pouvoir central. Le XIXème
siècle a été le temps de la disparition progressive de
ces intermédiaires au profit des fonctionnaires d’État
nationaux. On peut se demander aujourd'hui, si on n'assiste
pas à la disparition progressive du nouvel intermédiaire
que sont les États nationaux dépendants, dont Ben Ali ou
Moubarak sont les symboles, entre les soulèvements
populaires et les vrais pouvoirs transnationaux du
capitalisme.
La troisième phase dans laquelle entrent les révolutions arabes
pourrait donner partout dans le monde, encore plus qu'au
travers du pouvoir symbolique des "places" ou du
pouvoir imaginatif des "indignés", le goût et
l'envie d’expérimenter de nouvelles formes de vie, de déclarer
de nouveaux droits, qu’il s’agisse vivre en harmonie
avec la planète et les autres hommes sans aucune frontière,
de socialiser les banques et de faire de l'argent un service
public, de sortir du nucléaire ou de mettre en place un
revenu universel garanti à tous. On imagine facilement la résonance
mondiale (faut-il dire "raisonnance" ?) d'une
telle troisième phase et combien, à travers elle, ces
propositions jusqu’ici "utopiques" apparaîtront
de plus en plus réalistes parce qu'elles sortent de
l'impossible.
Il reste encore à traduire cette résonance internationale en
politique consciente internationaliste. Il faudrait se
demander comment, maintenant, avec les idées communistes on
pourrait changer le monde, comment cette idée communiste et
le mouvement social des exploités peuvent à nouveau
habiter le mouvement féministe, le mouvement anti-raciste
ou le sentiment national des peuples opprimés. Les chutes
des dictateurs arabes, l'immaturité du mouvement des "indignés"
comme des prolétaires, ont permis un instant derrière
l'enthousiasme sur l'absence de leaders qui traduisait
surtout l'absence de dirigeants en phase avec les
aspirations de la période, le leadership du "socialisme"
national des Karama, UGTT, FDG ou Syriza. Mais ce chapitre
devrait se clore rapidement tout autant que celui des
cultures identitaires sociétales et des théories qui les
portaient.
Cependant, le
mouvement socialiste révolutionnaire est lui-même en crise,
incapable de prendre le tournant de la période, de sortir
de ses vieilles habitudes propagandistes ou de suivisme
critique, pour passer à une véritable politique indépendante
s'adressant directement aux travailleurs en se faisant
l'expression de leurs besoins, aspirations et conscience qui
germent dans cette période. C'est pourquoi pour sortir
complètement du cadre mental imposé par l'idéologie
dominante, faudra-t-il probablement un catalyseur. Dans les
années 1830-1840 en Europe, quand les espoirs levés par
1789 paraissaient avoir été trahis, les révolutionnaires
découragés, il a fallu les Canuts voire juin 1848 ou plus
tard la Commune pour que se cristallise une nouvelle prise
de conscience mondiale. Dans le moment qui vient, la
question est de savoir si on verra des soulèvements
ouvriers d'une telle ampleur à nouveau capables d'activer
l'imaginaire politique collectif pour faire revivre l'idéal
communiste auprès des militants socialistes révolutionnaires
et de nouvelles générations militantes, bref donner tout
leur sens de premières étapes aux révolutions arabes. En
Chine ?
[1]
Formule empruntée à Sophie Wahnich en référence aux
années 1789-1792 en France
[2]
Les participations aux scrutins ont oscillé entre 45%
et 50% pour les législatives dans les deux pays, pour
tomber officiellement à 10% aux sénatoriales et 45%
aux présidentielles en Égypte. Beaucoup moins en réalité
probablement.
[3]
Le 30/01/2012, une grosse manifestation contre le
parlement accusait les Frères Musulmans et l'armée de
collusion
[4]
Nous avons décrit ces événements dans le détail sur
le site en ligne de Carré Rouge.
[5]
Jusque là, une campagne omniprésente dans les médias
accusait l'égoïsme et le corporatisme des grèves
ouvrières, présentées comme contre-révolutionnaires
puisqu'affaiblissant soit-disant l'économie de la
nouvelle Égypte
[6]
Les vagues de grèves de l'année 2011 et du début 2012
ont largement dépassé en importance la précédente
vague de 2006-2008 pourtant déjà la plus grande de
l'histoire égyptienne.
[7]
Une Union des Chômeurs Diplômés ( UDC) est née, très
active, à l'origine de bien des manifestations,
notamment les affrontements de Kef le 24 mai 2012 qui
ont fait 15 blessés.
[8]
Comme dans la plupart de ces mouvements de "villes",
le siège de la délégation (préfecture) de Sakiet
Sidi Youssef et la résidence du délégué ont été
incendiés. La grève générale a touché tous les
secteurs sauf les boulangeries et l’hôpital,
paralysant de ce fait la vie économique et sociale de
la région. En outre, la route reliant la ville au Kef a
été bloquée comme le point de passage frontalier
tuniso-algérien... et appel à la grève générale régionale
le 4 juin.
[9]
Dans une rencontre avec le nouveau syndicat indépendant
égyptien à la mi-mai 2012, l'UGTT conseillait à son
homologue de ne surtout pas faire de politique et de se
cantonner à sa fonction purement économique
[10]
On trouve comme justification à cela, le caractère spécifiquement
"arabe", rentier, parasite, de l'économie Ben
Aliste (mais il y a l'équivalent en Égypte ou à l'échelle
du monde arabe), dont il suffirait d'éradiquer cet
aspect avec toutes les forces vives sincèrement
tunisiennes, patronales comme ouvrières, pour
construire une véritable économie nationale forte: idéologie
commune aux socialismes nationaux qu'ils soient
staliniens, maoïstes ou nassériens.
[11]
Attaques physiques également. Ainsi le 30 mai le Secrétaire
général de l’Union régionale du travail de Bizerte
était agressé physiquement par une bande de "salafistes"
aux cris de: «vous
avez saboté le pays avec vos grèves!»
[12]
Moins toutefois que les intérêts de la dette que le
gouvernement islamiste honore sans broncher
[13]
Le Centre égyptien des droits sociaux et économiques a
compté 284 grèves, coupures de routes, manifestations,
sit-in et prises d’assaut de certains locaux et
bureaux de responsables sur la période du 15 avril au
15 mai 2012
[14]
La campagne électorale les a vu par exemple mener une
campagne gratuite d'excision des femmes
[15]
Tensions et fractures entre ceux qui veulent continuer
à exercer des responsabilités politiques et ceux, plus
engagés dans le mouvement social, qui souhaitent que la
confrérie se cantonne à ses œuvres sociales.
[16]
Ce qui est régulièrement démenti par les grèves,
manifestations, émeutes qui ne cessent pas depuis
septembre 2011
[17]
les forces armée connaissent leurs premières crises.
Après la quasi disparition de la police des rues, les
conscrits de l'armée du ministère de l'intérieur
(CSF) chargée de toutes les répressions, se sont mutinés
le 6 mai 2012, à cause du mépris, des brutalités dont
ils sont victimes de la part de leurs officiers
[18]
12 000 civils, y compris des enfants, ont été condamnés
en 2011 par des tribunaux militaires
[19]
Les révolutionnaires démocrates ont participé eux-mêmes
jusqu'il y a peu à cette illusion en n'ayant cesse de réclamer un pouvoir civil élu, que seul, selon eux,
un président rapidement élu et la constitution
pourraient garantir.
[20]
Des personnalités, écrivains ou artistes, ont dit
toute leur méfiance. Le 25 mai, l'écrivain Khaled Al
Khamissi écrivait dans Al masry al youm: "Les élections sont le plus souvent une technique anti-révolutionnaire,
un procédé pour faire avorter les révolutions en
imposant un système – sous prétexte de démocratie
– basé sur la domination du capital. Qui peut réussir
en effet dans cette farce appelée élections sans y
investir des dizaines de millions de livres égyptiennes
[...] L'espoir repose sur le mouvement social et révolutionnaire.
Le changement viendra d'en bas... "
[21]
Alexandrie, fief de l'islamisme, a très largement voté
pour Sabbahi avec plus de 600 000 voix, mettant le
candidat des Frères en 4ème position avec à peine
plus de 260 000 et le candidat de l'armée en 5eme avec
210 000 seulement.
[22]
L'effondrement salafiste s'est particulièrement vu à
Imbaba, quartier populaire du Caire, leur fief passé à
Sabbahi
[23]
Une mutinerie en mai des conscrits des forces de répression
contre leurs officiers montre un moral militaire atteint
[24]
Ou encore Syriza ou le FDG
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