Introduction
à la dialectique de la nature
Par
Robert Paris
matierevolution,
04/04/08
« Ce qui se meut, c’est la contradiction. (...) C’est
uniquement parce que le concret se suicide qu’il est ce
qui se meut. » (G.W.F Hegel, dans sa préface à la « Phénoménologie de l’esprit
»)
« Grâce à l’impulsion puissante donnée à la pensée
par la révolution française, Hegel a anticipé en
philosophie le mouvement général de la science. Mais précisément
parce qu’il s’agissait d’une géniale anticipation,
elle a pris chez Hegel un caractère idéaliste. Hegel opérait
sur des ombres idéologiques, comme si elles étaient la réalité
suprême. Marx a montré que le mouvement des ombres idéologiques
ne fait que refléter le mouvement des corps matériels. »
(Léon
Trotsky, dans « Défense du marxisme
»)
Engels écrivait
dans l’« Anti-Dühring » : « La nature est le banc
d’essai de la dialectique et nous devons dire à l’honneur
de la science moderne de la nature qu’elle a fourni pour
ce banc d’essai une riche moisson de faits qui s’accroît
tous les jours. » C’est ce mouvement sans cesse
renouvelé, ce dialogue contradictoire permanent entre
nature et philosophie, qui permet que la pensée sur le
monde, à la fois matérialiste et dialectique, reste
dynamique et proche de la réalité sans s’enliser dans
une espèce de métaphysique. Lorsqu’à nouveau, la
science fournit cette « riche moisson », il est nécessaire
de recommencer à y plonger notre philosophie, c’est-à-dire
de l’enrichir la conception dialectique et matérialiste
d’exemples tirés des sciences contemporaines pour en
tirer de nouvelles analyses. Qu’y a-t-il de
fondamentalement nouveau en sciences, peut se demander le
lecteur assidu des revues scientifiques qui constate bien
des progrès mais peu d’idées vraiment nouvelles par leur
contenu fondamental, peu de nouvelles conceptions
philosophiques. Nous allons tenter de montrer que les représentations
novatrices sont bel et bien là, même si les revues donnent
plus volontiers la place au caractère technique des découvertes
qu’au changement conceptuel qu’elles représentent.
La littérature spécialisée en philo/sciences a surtout
choisi de retenir au plan philosophique que la physique
quantique et la relativité semblaient indiquer une limite
à l’Homme dans sa capacité de connaître le monde. On a
même parlé d’indéterminisme à ce propos. Avec le
quanta, la connaissance sur la matière/lumière avait soi-disant
atteint une frontière. On ne pouvait descendre en dessous
de cette limite dans notre connaissance. Mais ce n’est pas
ainsi que la physique quantique parle : elle affirme que la
nature ne descend pas en dessous du quanta en termes d’objet,
de mouvement, d’interaction, de précision. Et aussi que
les quantités ne peuvent être que des multiples d’un
quanta, donc des nombres entiers. Ce n’est pas la même
chose du tout. Mais ceci ne concerne que la matière/lumière.
Reste la question : le vide contient-il des éléments qui
descendent en dessous du quanta ? En effet, on a découvert
la structure du vide et cela change fondamentalement nos idées
en la … matière. Le vide n’est plus l’opposé de la
matière et de la lumière mais une matière fugitive, dite
virtuelle, qui fait le lien entre matière et lumière, qui
explique l’existence même de la matière, de sa durabilité.
C’est le vide qui produit la lumière et la matière, sous
leurs diverses formes. Du coup, le monde de la matière n’est
plus limité par les inégalités d’Heisenberg, ces
fameuses limitations dues aux quanta. Dans le vide, il
existe une « matière » qui descend d’un niveau d’organisation
en dessous, et même plusieurs sortes de matière qui
descendent de plusieurs niveaux d’organisation, puisque qu’existe
le virtuel de virtuel, etc… Le vide se matérialise donc.
Et nous verrons, inversement, que la matière se bâtit à
partir du vide. Enfin, le passé pénètre le présent. On
savait qu’on allait vers le passé en portant notre regard
dans les étoiles et galaxies lointaines. On sait maintenant
qu’en entrant dans les échelles inférieures, on va également
vers le passé. Dans le vide, en l’absence de matière, il
n’y a même plus de directivité du temps. Passé et présent,
matière et vide sont donc interpénétrés à l’infini.
La flèche du temps est bien un phénomène émergent issu
d’un grand nombre d’interactions de la matière et du
vide. La matière est issue du vide mais, en même temps,
elle en est la négation. De même que le vide est la négation
du virtuel de virtuel.
Cette interpénétration des contraires et cette émergence
des structures issues de leurs interactions, on les retrouve
ici comme on les a trouvés dans l’étude de la vie et de
la mort, dans le combat permanent des gènes et des protéines
de la vie et de celles de la mort. Nos images de la matière
et de la vie, et même de l’homme, sont profondément
changées. Notre philosophie aurait également besoin de
l’être, mais ce n’est pas dans ce domaine que les idées
avancent le plus vite, la société restant, à juste titre,
craintive des effets qu’une philosophie du changement
pourrait produire. En ce sens, il ne faut pas attendre des
seuls progrès des sciences un changement des mentalités. A
ce niveau aussi, ce sont les contradictions qui progressent
et non le progrès qui augmente harmonieusement dans tous
les domaines (science, technique, société, idéologie).
L’ordre social dominant a besoin d’une philosophie de
l’ordre. Ce n’est pas pour satisfaire à un point de vue
sur les sciences et la nature mais pour défendre sa
position dirigeante menacée par d’autres contradictions.
Le maintien de l’oppression sur des milliards d’individus
sur la planète nécessite une idéologie de la fatalité,
de la passivité, le mythe d’un pouvoir supérieur s’imposant
aux hommes et justifiant les souffrances de ceux-ci. Si l’étude
des sciences est une arme pour ceux qui veulent construire
une pensée révolutionnaire, elle ne peut suppléer aux idées
révolutionnaires ni à la révolution sociale elle-même.
Il ne s’agir pas de demander aux scientifiques, aux économistes,
aux historiens, ni aux philosophes de devenir des révolutionnaires.
La plupart ne le veulent pas et ce n’est pas étonnant.
Par contre, nous réaffirmons la nécessité, pour ceux qui
veulent comprendre le monde afin de le changer, d’appréhender
la philosophie du changement, la dialectique. Les résultats
récents des sciences peuvent, pour cela, être d’une aide
fondamentale. Un rapide tour d’horizon de ces changements
conceptuels réalisé dans ce chapitre sera suivi d’un
examen domaine par domaine.
On a bien remarqué un progrès régulier des sciences et
plus encore des techniques mais de là à parler de
nouvelles découvertes fondamentales. Quelles sont ces
innovations conceptuelles de la deuxième moitié du 20e siècle
qui auraient marqué le développement des sciences, au
point de mériter le terme de révolution scientifique et de
nous amener à devoir modifier notre pensée sur le monde ?
L’univers est entré dans l’Histoire [1]
Particules,
rayonnement, matière inerte et vivante ou
société humaine sont des produits pleinement historiques.
C’est une révolution conceptuelle semblable, pour la matière,
à celle de la théorie de Darwin de l’évolution, pour
les espèces. Il y a désormais une théorie de l’évolution
de la matière qui emploie des notions « historiques » :
celle d’événement, de tournant de l’histoire, de
transformation historique dans laquelle rien ne sera plus
jamais comme avant. La matière est devenue phénomène
historique grâce à divers développements : étude de l’instabilité
de la matière (radioactivité, particules fugitives, ...),
étude de l’histoire de l’univers, formation des
particules et des divers éléments chimiques au différents
stades (de l’étoile, des supernovae, des étoiles à
neutron, évolution historique des galaxies, étapes de la
formation de l’univers) [2].
Les particules sont le produit d’une histoire passée par
plusieurs étapes qui ont été des transitions de phase,
c’est-à-dire des changements qualitatifs et rupture de
symétrie aux divers changements de phases des étapes
historiques de la matière. Les éléments chimiques sont le
produit de l’évolution historique des étoiles. Multiples
liens de la microphysique à l’astrophysique (étude des
rayonnements gamma, des neutrinos, etc...). Pendant que l’astrophysique
résout la question de l’origine des diverses sortes d’atomes,
la physique nucléaire réalise la transmutation entre ces
divers éléments, la radioactivité dévoile l’instabilité
profonde de la matière. Big Bang ou pas, nous savons
maintenant que matière et rayonnement n’ont pas toujours
existé tels que nous les connaissons. Il en va de même
pour la terre, pour les océans, pour les roches ou pour la
vie. Aucune galaxie, aucune étoile, aucune particule,
aucune espèce vivante n’est immortelle. La vie a connu de
grands sauts comme le passage de la vie sans oxygène à la
vie fondée sur l’oxygène, de la vie unicellulaire à la
vie pluricellulaire, et les grandes explosions de diversité
comme celles d’Ediacara et Burgess.
L’étude de la matière dans ses états instables
L’étude de la matière dans ses états instables a commencé à livrer ses secrets : découverte des systèmes
dissipatifs qui peuvent mener à un ordre fondé sur le désordre
[3],
développement de la physique non-linéaire dans laquelle il
y a création spontanée de nouveauté. Le chaos déterministe
donne des exemples de dynamiques obéissant à des lois
malgré une apparence de développement semblable au hasard.
Les passages de l’ordre au désordre et inversement sont
concevables dans une même physique. On étudie des états
de relation molle de la matière (savons, flocons, état
granulaire, relations lâches des macromolécules de la vie,
...) et des états concentrés ou très cohérents (plasmas,
supraconductivité, superfluidité). L’image des
structures possibles de la matière en est changée. Le
possible devient tout autre que les anciens « trois états
» (gaz, liquide, solide) qui n’étaient étudiés qu’à
l’équilibre.
Nouvelle physique des transitions de phase [4]
ou états critiques [5]
Une théorie des sauts dans la nature est maintenant développée
: la renormalisation, qui apparaissait d’abord
comme une astuce de calcul, révèle la structure du réel.
Elle est fondée sur une symétrie brisée, dans laquelle la
contradiction est tantôt apparente et tantôt cachée.
Renoncement complet à l’ancienne métaphysique…
Renoncement complet à l’ancienne métaphysique de la force
[6]
et de l’objet fixe, immuable [7],
immobile, insécable et son remplacement par les notions
d’interaction et de symétrie (changement de phase
correspondant à une symétrie brisée). Multiplication du
nombre des états de la matière (flocon, grain, matière
molle, plasma, supra, etc) avec à chaque fois des
transitions de phase c’est-à-dire des sauts qualitatifs.
Remplacement de la notion de position et de trajectoire par
celle de probabilité en microphysique.
Nouvelle description de la matière et du rayonnement
Elle rompt avec le renoncement à toute description qui
caractérisait l’ancienne physique quantique. L’élémentarité
est celle de l’action et pas de la masse de la particule.
Le réel étudié est l’interaction [8]
et pas l’objet. Explosion de la notion d’élémentarité
des particules [9]
sous plusieurs coups qui sont de grandes découvertes :
structure du noyau de l’atome et du proton, habillage de
l’électron par le « nuage de polarisation », découverte
de l’énergie du vide qui pénètre la matière et est pénétré
par elle, caractère fractal (série d’interaction à
divers niveaux emboîtés) des interactions entre particules
de matière et de rayonnement. Renoncement à la notion de séparabilité
entre la particule et le milieu et entre deux particules qui
interagissent.
Découverte de la base de la matière et du rayonnement
dans ... le vide quantique [10]
Le vide n’est pas dépourvu d’énergie, il est
instable et ses fluctuations [11]
sont fondées sur des couples de particules et d’antiparticules
éphémères. La particule interagit avec le vide qui
modifie son mouvement et sa structure (écrantage de l’électron
et anti-écrantage du gluon). Développement de la notion
d’antimatière qui baigne tout, le vide, les interactions
et les particules « élémentaires » elles-mêmes. Réactions
matière/antimatière [12],
création et annihilation de particules et d’antiparticules,
mettent en évidence non seulement l’unité profonde de la
matière et du rayonnement mais montrent aussi que le
rayonnement est une synthèse des contraires : matière et
antimatière. Le vide pourrait donner une description en
termes réels de la matière et du rayonnement, permettant
à la physique quantique de résoudre ses paradoxes. [13]
Auquel cas, on arriverait à la situation paradoxale
suivante : les « objets » réels seraient les particules
et photons dits virtuels [14]
du vide et notre univers (matière et lumière) ne serait qu’une
structuration de ce vide, c’est-à-dire une interaction
entre structure et désordre au sein d’une soupe
originelle instable (le vide quantique). Ce serait encore un
système qui se structure parce qu’il est situé loin de
l’équilibre. Cela expliquerait que l’univers matériel
se soit structuré, ait gagné sans cesse en ordre. Cela mènerait
à un dépassement complet des paradoxes de la physique
quantique et en particulier au renoncement à imager le réel,
c’est-à-dire à produire un texte qui décrive l’histoire,
ce qui s’est passé dans le phénomène. [15]
Une nouvelle thermodynamique
Une nouvelle thermodynamique [16] étudie les
états hors équilibre et qui dissipent de l’énergie.
Elle démontre qu’ils n’obéissent plus à la deuxième
loi de la thermodynamique (augmentation de l’entropie,
c’est-à-dire du désordre). L’évolution qu’on
croyait inévitable vers la perte de qualité de l’ordre
n’est plus réalisée que globalement. Cette découverte
ouvre une porte dans le mur qui séparait matière inerte et
matière vivante et qui sépare matière et ... vide. D’où
un nouveau domaine d’étude : celui des structures auto-organisées
(domaine qui touche à tous les secteurs des sciences).
Les structures fractales
Les structures fractales, développées
notamment par Mandelbrot, sont découvertes
dans de multiples domaines qu’on retrouve dans les
transitions de phase (entre deux états de la matière),
dans les états feuilletés, dans les trajectoires des systèmes
chaotiques (attracteur étrange [17]),
dans de nombreuses formes naturelles (arborescences, côtes
maritimes, poumons, neurones, etc) et qui donnent une
nouvelle image du réel qui n’est plus linéaire, lisse,
continu et sans aspérité. L’image de la matière n’est
plus celle de la particule-boule ou de la surface d’eau
plane.
Vérification expérimentale de l’unité matière/énergie
Vérification expérimentale de l’unité matière/énergie (unité qui
n’empêche pas le maintien de la contradiction puisque la
matière structure, sépare, mobilise et donc paralyse l’énergie).
Développement des nouvelles technologies permettant de pénétrer
de plus en plus profond la matière (microscope laser, à
effet tunnel, accélérateurs de particules, etc...). La
matière la plus infime et la plus fugitive devient objet
d’expériences. Multiplication des techniques utilisant
les ordinateurs pour simuler des évolutions dynamiques ou
construire des images virtuelles. Elles convertissent sans
cesse l’un dans l’autre matière et énergie dans les
collisions de particules à hautes énergies comme dans les
centrales nucléaires. Le processus d’échange entre matière
et énergie dans les étoiles devient à la portée de l’expérience
humaine.
Révolution de la génétique
L’ADN n’est plus le seul élément central du vivant.
L’action pathogène des prions le montre notamment. Les
protéines se révèlent également porteuses d’hérédité.
Elles sont chargées de réguler le fonctionnement et
notamment servent à trier les molécules produites et donc
la nouveauté (protéines HSP). Elles sont l’élément
dynamique du mécanisme puisque leur action provoque,
catalyse ou inhibe l’action des gênes, incapables de démarrer
et de s’arrêter seuls. L’action d’un gène est fondée
sur l’inhibition de l’inhibiteur. Les interactions gènes/protéines
via l’ARN régulent la dynamique fondée sur des rétroactions
auto-organisées. Du coup, on sait déjà que le décryptage
du génome ne suffira pas du tout à expliciter le mécanisme
génétique qui est dynamique.
L’étude de
l’apoptose
Développement de l’étude de l’apoptose ou
suicide cellulaire qui permet à la matière
vivante de s’auto-organiser, de sélectionner, de
communiquer et de construire des grandes structures comme la
physiologie du corps, choisir le sexe, etc... Au sein de la
cellule « vivante », la vie est en permanence en lutte
avec la mort selon un ballet impressionnant de divers gènes
et protéines.
La biologie moléculaire donne la base
physico-chimique du fonctionnement du vivant avec la découverte
des messages inter-cellulaires (hormones, neurotransmetteurs,
influx électrique).
Découverte du mécanisme
d’action des gênes
Découverte du mécanisme d’action des gênes
: par inhibition de l’inhibition et utilisation de ce mécanisme
pour de nombreuses thérapies, cancers, réparation de la
moelle épinière.. Il n’y a pas de pilote
du mécanisme génétique, pas plus de la réplication que
de la multiplication ou de la régulation. Il n’y a pas
de plan préétabli. Ce sont les hasards des
messages et des échanges moléculaires qui établissent le
fonctionnement. La génétique n’est pas fondée sur la
fixité car le changement existe à tous les niveaux (gênes
sauteurs, modifications de la réplication, virus, etc ...)
Stress climatique ou chimique entraînant une levée des
protections génétiques sur des protéines non voulues. Une
nouvelle image naît concernant l’évolution : notre
structure génétique permet de produire d’autres molécules
que celles de notre espèce et elles sont détruites en
temps normal, sauf situation exceptionnelle...
L’embryologie
L’embryologie est devenue
une science et, en particulier, avec la découverte du
fonctionnement des gênes homéotiques, elle
donne le mécanisme de construction de l’être vivant par
segments entiers et dévoile la profonde unité du vivant
car les gênes homéotiques d’une espèce sont reconnus
par une autre espèce et actifs sur elle. Un gène maître
de l’oeil de fourmi inoculé dans une souris fonctionne et
donne un nouvel oeil de souris. [18]
Découverte de la biologie du cerveau
L’image d’un cerveau dont la structure est préprogrammée
est remplacée par celle d’un centre nerveux qui s’auto-structure
via des destructions massives de neurones. Démonstration du
lien entre chimie du corps et du cerveau, entre chimie des
neurotransmetteurs et transmission nerveuse, entre
transmission nerveuse et émotions, entre émotions et pensée.
Un ensemble de recherches qui rompt la séparation que l’on
établissait entre corps et esprit. La base
de la pensée n’est ni un neurone, ni une zone ni un
message mais une auto-structuration des boucles de rétroaction
entre neurones. Découverte du caractère non-linéaire des
évolutions mentales et de la biologie du cerveau, non-linéarité
qui permet la construction de structures des interactions.
Le cerveau est le régime le plus instable du corps humain :
un peu de stabilité et c’est la crise d’épilepsie !
Etude des horloges biologiques qui
rythment le vivant par leurs interactions. Ces horloges ne
sont pas périodiques mais chaotiques et constituent des
structures interactives. Notamment étude du cœur et du
cerveau.
Découverte des équilibres
« ponctués »
Découverte des équilibres « ponctués » [19]
en théorie de l’évolution (notamment par
Stephen Jay Gould). De longue phases d’équilibres sont
ponctuées (épisode relativement court) de phases de
changement radical. L’évolution est spontanée, non guidée,
non-linéaire, imprédictible et sans objectif. Le continu
se mêle au discontinu, les évolutions progressives aux
changements qualitatifs. Des adaptations se mêlent aux évolutions
contingentes. La nature bricole en prenant un peu d’une époque
et un peu d’une autre. Des millions d’années d’immobilité
ou de changements faibles sont suivis de changements
radicaux sur quelques centaines ou dizaines de millions d’années.
Notamment étude des catastrophes, des disparitions massives
qui ouvrent de nouvelles perspectives à des espèces
survivantes et à leur évolution.
Nouvelle vision de l’évolution de l’homme
Nouvelle vision de l’évolution de l’homme
fondée sur la notion de retardement de l’horloge d’un
chimpanzé (néoténie). Les horloges biologiques sont de
mieux en mieux connues. Leur modification a une action
directe sur le développement donc sur l’action des gènes
homéotiques qui produisent la physiologie. Il n’y a pas
eu un mais plusieurs sauts dans les révolutions de l’hominisation.
Il n’y a pas un critère mais plusieurs des changements
brutaux menant à l’homme actuel. Il n’y a pas de séparation
spéciale entre l’homme et l’animal spécifiquement différente
des séparations entre un animal et ses cousins dans l’évolution.
La technologie transforme des théories en sciences
De nombreux domaines sont passés de la théorie, ou de la
simple hypothèse, à la réalisation. C’est le cas en ce
qui concerne le fonctionnement du vivant, de la génétique
et de l’évolution. Développement exceptionnel des
biotechnologies qui font de l’évolution
une science puisque sont possibles des expériences de
laboratoire. Des modifications génétiques deviennent
possibles selon plusieurs schémas, permettant une nouvelle
sélection artificielle du vivant et une lutte contre les
maladies génétiques. En laboratoire, on peut observer des
particules de matière mais aussi des grains éphémères,
et même de l’anti-matière (anti-électron, anti-proton
et même assemblage pour constituer un anti-monde). La
simulation informatique et l’imagerie assistée par
ordinateur permettent de donner une ampleur considérable et
des moyens mathématiques aux « expériences de pensée ».
On visualise par effet tunnel et informatique les particules,
les molécules, les structures atomiques.
La terre, phénomène historique
La terre, son
relief comme son climat comme sa vie ou son magnétisme sont
des phénomènes historiques. Même le
rayon terrestre semble être l’objet de phases d’expansion,
l’écorce bouge, les roches naissent et meurent de même
que les mers. La dynamique des climats (étude
des interactions atmosphère/océans, étude des
anticyclones polaires, dynamique chaotique du climat) donne
aussi une image nouvelle, à la fois historique, instable,
non-périodique, fondant des structures globalement stables
pendant des périodes de longue durée. Le climat obéit à
des lois qui convergent vers des systèmes climatiques mais
c’est un système instable et sensible aux conditions
initiales. La dynamique de la terre évolue également avec
notamment la tectonique des plaques, la sismologie, la
radioactivité du noyau terrestre, l’étude des autres
planètes. Là aussi, on est de plus en plus loin de l’ancienne
image d’une terre stable, immuable. Nouvelles études et
conceptions également sur la stabilité du système solaire,
un thème qui est premier dans les études scientifiques et
qui continue d’offrir des nouveautés étonnantes. On découvre
notamment de multiples systèmes solaires dans l’univers,
de nombreuses planètes autour d’autres étoiles que le
soleil qui répondent ainsi à de nombreux débats
philosophiques du passé.
Et ne sont citées ici que certaines découvertes
importantes de quelques domaines !
A ces découvertes se rattachent les travaux de
scientifiques (liste non exclusive là aussi) :
Feynman pour l’électrodynamique quantique
Gell-Mann pour les quarks
Schatzmann en astrophysique
Prigogine pour les systèmes dissipatifs capables de s’auto-structurer
Lévy-Leblond en physique quantique
Diner sur la physique quantique, la non-linéarité et sur le
vide
Ameisen pour l’apoptose des cellules et la défense de l’immunité
du vivant
Gehring pour les gênes homéotiques
Changeux et Edelman pour la biologie du cerveau
Atlan en biologie
Gould pour la théorie de l’évolution et l’hominisation
Chaline pour l’évolution de l’homme
Schatzmann pour l’astrophysique
Lorentz pour la dynamique du climat
Laskar pour la stabilité du système solaire
Wilson pour la renormalisation des lois physiques
etc, etc...
De ces recherches récentes, il ressort l’image d’une
nature ayant un caractère historique, qui change lors d’événements,
dans laquelle il n’y a pas de structure préétablie mais
se constituant au fur et à mesure du développement
historique de façon à la fois hasardeuse et obéissant à
des lois.
A nouveau la science renverse des conceptions réputées
pour acquises :
Renoncement complet au point de vue fixiste
Renoncement complet au point de vue fixiste, d’Aristote [20]
à Newton [21], à la notion de matière élémentaire éternelle,
immuable [22]
et insécable. La physique n’est pas la mise en mouvement
d’objets fixes et figés. La dynamique n’est pas une
mise en mouvement d’objets fixes. Le temps n’est pas une
succession linéaire d’instants ponctuels dont le déroulement
serait prédéfini comme le serait l’espace. Le réel ne
se déroule pas comme un film, comme une suite d’images
fixes. Le paradoxe de Zénon [23]
avait un sens : le mouvement ne peut être une succession
infinie de fractions d’instants sans mouvement et sans
modification de l’objet. De même, la vie n’est pas une
succession d’instants morts. Le monde n’est pas fondé
sur des propriétés ou des états diamétralement opposés
car les opposés coexistent, se structurent. Les contraires
s’assemblent, rendant momentanément transparente leur
opposition. Désordre n’est plus antinomique de structure,
ni instabilité antinomique de durabilité de structure, ni
création antinomique de lois, ni déterministe antinomique
de discontinuité [24].
Plus de barrière infranchissable et absolue…
Plus de barrière infranchissable et absolue entre des domaines autrefois cloisonnés : entre l’astrophysique
et la microphysique, entre thermodynamique du vivant et de
l’inerte, entre interactions forte, faible et électromagnétique,
entre masse et énergie, entre masse, espace et temps, entre
corpuscule et onde, entre matière et vide, entre particule
et rayonnement, entre physico-chimie et biologie, entre génétique
et développement, entre développement de l’être vivant
et évolution, entre biologie et fonctionnement du cerveau
entre psychologie et physiologie, entre sentiments et
intelligence, entre l’homme et l’animal [25],
entre états de la matière [26],
entre vivant et inerte [27],
entre la vie et la mort [28].
Un nouveau type de déterminisme
Pour les systèmes dissipatifs [29]
(et donc non isolés), la deuxième loi de la
thermodynamique imposant la voie vers l’accroissement du désordre.
n’est plus une barrière infranchissable. Ils n’évoluent
plus fatalement vers la perte de structure et peuvent même
au contraire gagner en ordre. Il en résulte une dynamique
non-linéaire dans laquelle la « sensibilité aux
conditions initiales » entraîne un nouveau type de
déterminisme et dans laquelle les lois n’entraînent
pas nécessairement la prédictibilité Et également une
nouvelle conception de la causalité. La ligne causale linéaire
est remplacée par une arborescence vers le haut comme vers
le bas. Les possibles peuvent être nombreux même s’il y
a des lois. Le choc de deux particules peut donner plusieurs
décompositions différentes. Il n’y a plus une seule évolution
ni une trajectoire. La théorie du chaos déterministe (à
la fois des lois et une apparence de désordre et de
contingence) concerne de multiples domaines des sciences.
L’apport essentiel est de concevoir une dynamique dans
laquelle est intégrée une phase apparemment stable suivie
d’une phase d’apparent désordre (multiples états
possibles) et suivie enfin d’une nouvel état apparemment
stable. Cette théorie est fondée d’une part sur des études
du réel comme celui de circuits électriques chaotiques et
d’autre part sur des études mathématiques comme celles
de Feigenbaum qui permettent de visualiser
comment un système peut connaître de courtes phases de désordre
introduisant un nouvel ordre. Ces phases permettent à un
système déterministe d’explorer de multiples états
possibles.
Suppression de la barrière formelle entre matière, rayonnement et
énergie. [30]
On croyait, jusqu’à récemment, à l’adage de Lavoisier
selon lequel la matière ne disparaît ni n’apparaît
jamais : « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se
transforme. » On a commencé par le modifier en disant,
avec Einstein, que c’est le couple matière-énergie
qui se conserve. Il a pourtant fallu reconnaître que, dans
des temps très courts, il y a dans le vide matérialisation
et dématérialisation de l’énergie. Matière et énergie
semblent deux phénomènes symétriques (donc qui s’opposent
et se composent), nés en même temps en se séparant au
sein du vide quantique (idée qui remplace la notion un peu
enfantine d’explosion primitive, d’un grand « bang »).
Renoncement à l’idée que la nature est fondée sur l’équilibre
La notion de système isolé à l’équilibre est
purement théorique. La matière est l’objet de mouvements
et de changements incessants [31].
Dans la matière inerte, les particules elles-mêmes sont
l’objet de mouvements continuels : mouvement brownien des
molécules, échange de grains de liaison entre particules (photons,
gluons par exemple), changement d’états permanent de
toutes les particules. L’électron, lui-même, qui est
sujet en permanence à des absorptions ou à des émissions
spontanées de photons, ne peut être conçu comme un objet
indépendant en équilibre stable. Loin de chercher l’immuable
et l’insécable, la physique est amenée à reconnaître
que l’existence même d’un seul élément naturel qui
serait stable et immuable n’est plus concevable. En effet,
ses échanges avec le reste de l’univers seraient
impossibles ou le feraient exploser. Même le vide est en
instabilité permanente avec des fluctuations d’énergie
et émergence puis disparition de couples particule/antiparticule.
Dans le domaine du vivant, la vie c’est le déséquilibre.
L’équilibre c’est la maladie ou la mort (déséquilibre
permanent des messages de vie et de mort au sein de la
cellule, message électrique trop stable provoquant dans le
cœur une fibrillation ventriculaire et dans le cerveau une
épilepsie).
La conception historique de la matière
vivante comme inerte signifie qu’il n’y a rien d’immuable,
que toute structure est née avec en son sein des
contradictions et qu’elle mourra, qu’il y a des lois
mais aussi du bricolage (faire du neuf avec du vieux). Il y
a des événements : seuil à partir duquel de nouvelles
lois apparaissent. Non pas des évolutions linéaires mais
arborescentes [32]
(forme buissonnante en avant comme en arrière).
Renoncement à l’immuabilité des particules
Renoncement à l’immuabilité des particules à leur
caractère de masse compacte et à leur élémentarité, en contradiction avec les idées de Newton. Même pour le
proton, il n’y a pas d’élémentarité car il est
constitué de quarks agglomérés par la « colle » des
gluons (que l’on est parvenu à mettre en évidence expérimentalement
malgré leur incapacité à exister isolément). De plus, on
a prouvé que la stabilité globale du proton est une
dynamique entre divers états possibles assimilables aux
diverses vibrations d’une note de musique. Ces états (ressemblants
à des harmoniques) correspondent au nombre de couples
particule/antiparticule qui entrent dans le proton. L’électron
lui-même n’est sans doute pas élémentaire. Il n’est
plus une particule isolée, séparée de son milieu puisqu’il
est sans cesse entouré par un nuage de couples électron/positon.
L’élémentarité n’est plus une thèse défendable car
toutes les particules se décomposent en d’autres
particules qui ne sont pas des parties des premières. Dans
les interactions entre particules qu’on disait élémentaires,
le nombre de particules n’est même pas conservé.
Plus de réductionnisme de l’ADN.
La vie n’est pas l’action d’une macromolécule
immuable et agissant uniquement par ses propres propriétés
internes. Renoncement à l’idée que
l’ADN caractérise l’espèce, le matériel génétique
étant entièrement propre à chaque espèce : la macromolécule
comme les protéines ont des parties communes avec les
autres êtres vivants. L’ADN est porteur de nombre de gènes
désactivés qui permettraient, activés, de produire une
autre espèce. Donc l’étude génétique met en valeur
l’importance de la dynamique qui active les gènes
: les protéines et gènes activateurs et inhibiteurs ainsi
que catalyseurs. D’autre part, sont compatibles avec notre
bagage génétique bien des molécules fonctionnant sur
d’autres êtres vivants. Ainsi peuvent intervenir sur le développement
d’un être humain non seulement des gênes homéotiques de
souris mais aussi de fourmi et même de ... levure de
boulanger ! Si cela ce n’est pas une révolution
conceptuelle !
Le vitalisme est définitivement anéanti [33]
Plus question de chercher une qualité intrinsèque du
vivant qui le distingue de l’inerte : ce sont des lois de
la physico-chimie qui gouvernent tous les mécanismes de la
vie, que ce soit ceux de la génétique ou du développement.
Renoncement à la notion de programme préétabli
dans le vivant remplacée par celle de structure émergente
[34].
Des systèmes aussi sophistiqués que le maillage du cerveau
ou le système immunologique ont été explicités dans leur
ensemble. Loin d’être fondés sur un plan dessiné à
l’avance, ils sont fondés sur un mécanisme de
construction au hasard du maximum possible suivant les cas
de liaisons, d’anti-corps ou de cellules et ensuite par la
suppression lors de la mise en fonction de ceux qui ne
conviennent pas, ne sont pas connectés, ne se lient pas
assez ou trop à nos molécules ou à nos bactéries. La vie
ne produit pas le matériel moléculaire ou cellulaire nécessaire.
Elle en produit des millions de fois plus, en sortes et en
quantités, et elle élimine. Cela donne un rôle central
aux procédures d’élimination qui dirigent la mise en
place des structures. C’est une image totalement différente
de celle que l’on avait du mécanisme du vivant.
Renoncement à l’idée de progression linéaire du
vivant
Renoncement à l’idée de progression linéaire du
vivant et à la simplification du processus par la notion
d’adaptation et de progrès dans la théorie de l’évolution
[35],
même si elle est encore diffusée par certains
scientifiques. Il n’y a pas d’orientation de l’évolution
vers le progrès et pas non plus d’évolution de l’homme
guidée vers le gros cerveau. Plus question non plus de
finalisme dans le vivant : pas de préméditation ni
d’intention, pas de principe directeur, pas de sens de
l’évolution, pas de progrès, etc... Toutes les
expressions animistes décrivant les processus sont de
simples facilités de langage du vulgarisateur.
Renoncement à la séparation du corps et de
l’esprit du fait de l’étude du développement
du cerveau et du fonctionnement du réseau neuronal.
Non seulement nous explorons les confins de notre univers
mais nous commençons à concevoir d’autres univers-iles
que le nôtre. Et nous commençons aussi à concevoir que
d’autres univers de la matière existent (en dessous des
dimensions en espace-temps et au dessus en énergie qui nous
paraissaient des limites). C’est ainsi que les nouvelles
sciences ont repoussé considérablement les frontières
de l’univers. Nous apprenons ainsi qu’il nous
reste 99% de l’énergie de notre univers à découvrir ...
Des révolutions ont lieu ici aussi équivalente à la découverte
de l’espace à l’aide de la lunette de Galilée
et à la découverte des êtres vivants microscopiques.
Les oppositions diamétrales ont laissé place à une
dynamique fondée sur des contradictions sans disjonction :
à la fois continu et discontinu, à la fois stable et
instable, à la fois au hasard et déterministe, à la fois
structuré et désordonné, façonné à la fois par la vie
et la mort... Le monde fondé sur une brique immuable était
un idéal de la science passée qui est révolu.
Aujourd’hui on sait que si une seule particule
microscopique était immuable, son interaction avec le reste
du monde le ferait exploser. Tout bouge, tout change, tout
évolue, tout interagit, rien n’est isolé, stable ou
immuable.
En somme des changements qui auraient eu toutes les
raisons d’interpeller les philosophes comme tous ceux pour
qui la compréhension du monde ne se découpe pas en
tranches.
Pourtant les milieux intellectuels ne se sont pas saisis
de cette nouveauté des sciences autant que l’on pouvait
s’y attendre. Comme le remarque le physicien Etienne
Klein dans « Conversation avec le sphinx », « On
peut déplorer que la philosophie ne s’intéresse pas
suffisamment à ses avancées (de la science) et perde du même
coup le contact avec un pan entier de la connaissance
contemporaine. L’indifférence mutuelle a créé un
clivage. Beaucoup de scientifiques, et en particulier des
physiciens, ne s’intéressent pas assez au discours métascientifique
(...) comme si la science ne méritait pas d’être pensée
finement et dans sa totalité. Les philosophes, eux, n’ont
sans doute pas tous porté assez d’attention aux
bouleversements de la science qui se sont produits sous
leurs yeux, comme si un changement de point de vue sur la
nature du réel pouvait rester sans écho dans leur
discipline. »
Seuls certains scientifiques et philosophes, plutôt isolés,
font exception comme le géologue et paléontologue Stephen
Jay Gould, ou encore la philosophe Isabelle
Stengers et le physicien Ilya Prigogine,
qui ont reconnu dans les découvertes récentes les prémices
d’une véritable révolution conceptuelle en sciences et
en philosophie. Ces scientifiques considèrent en effet que
c’est sur le plan conceptuel, sinon philosophique, que la
science doit maintenant réaliser la révolution qui lui est
nécessaire.
John Maddox affirme ainsi dans « Ce qu’il reste à découvrir »,
un ouvrage de sciences tourné vers l’avenir : « Tous
les êtres vivants sont des aberrations au sens où ils ne
se confortent pas à la seconde loi de la thermodynamique
telle qu’elle s’applique aux systèmes isolés. (...)
Pour des raisons pratiques autant que philosophiques, il
nous faut mieux comprendre le rapport entre la production
d’énergie solaire et la complexité de la biosphère
terrestre. (...) Depuis des années Ilya Prigogine cherche
un cadre philosophique susceptible de recevoir ces
questions. »
Jean-Marc Lévy-Leblond confirme dans « Aux contraires » : « (...) chaos déterministe,
inflation cosmique, champs de jauge, supercordes, etc (...)
cette physique actuelle, celle qui se fait en direct et qui
passe désormais, chaude encore, des laboratoires vers la
grande presse, nous ne savons pas encore vraiment la penser.
»
La science est donc en train de réaliser un nouveau bond
en avant. Pourtant, la plupart des scientifiques constatent
que leur science n’a fait évoluer que la technique mais
pas la pensée. Etienne Klein l’exprime
ainsi dans « Conversation avec le sphinx » : « La
vision du monde perçu par les scientifiques a
formidablement changé en quelques décennies, à un rythme
inédit dans l’Histoire. Ces bouleversements ont-ils débordé
du cadre strictement scientifique qui les a vu naître ? Pas
vraiment. La science domine, certes, mais les idées
sociales, politiques et économiques qui prévalent
aujourd’hui ont presque toutes été façonnées,
consciemment ou non, par une vision du monde fondée sur les
résultats de la science du 19e siècle. »
Marc Richier dans « Le vide » [36]
constate le fait mais pense que c’est un héritage du passé
qui n’a pas d’explication dans la société actuelle :
« Si les philosophes sont, en général, ignorants en
matière de physique, les physiciens sont, en général,
ignorant en matière de philosophie. Situation en partie désastreuse
certes, que nous héritons du 19ème siècle, pour laquelle
il n’y a pas d’ ’’explication’’. »
Dans « Entre le temps et l’éternité », Prigogine
rappelle en effet que « l’histoire de la physique ne
se réduit pas à celle du développement de formalismes et
d’expérimentations, mais est inséparable de ce que
l’on appelle actuellement des jugements « idéologiques
». »
Cornélius Castoriadis (cité dans « Sciences et
dialectique de la nature ») déclarait pour sa part dans un
colloque scientifique et philosophique que « Pour penser
l’auto-organisation de la matière, il n’est d’autre
recours que de faire de la philosophie. Il faut oser le dire
et cesser de céder aux misérables chantages scientistes et
positivistes. »
N’est-ce pas une préoccupation qui rejoint celle de Hegel
qui affirmait dans son « Encyclopédie des sciences
philosophiques » : « Non seulement la philosophie ne peut
être qu’en accord avec l’expérience naturelle, mais la
naissance et la formation de la science philosophique ont la
physique empirique pour présupposition et condition. »
Est-il artificiel de mêler science et philosophie ?
Est-ce nécessairement faire oeuvre de croyance de type
religieux ? Certainement pas. D’ailleurs les questions
philosophiques posées par la connaissance de la nature ne
se ramènent pas du tout à la recherche d’un maître du
monde ni à celle d’un domaine qui soit mystérieux et
magique !
Les questions que posent les sciences sont également des
questions philosophiques:
Quelle histoire a produit la matière et le rayonnement ?
L’ADN est-il vivant ou inerte ?
Les constantes : la vitesse de la lumière c et le quantum
d’action h viennent-elles d’une réalité plus
fondamentale ?
Le message électrique cérébral est-il structuré ou non
?
Le temps est-il continu ou discontinu ?
Le système solaire est-il stable ?
Sommes-nous le seul univers ou le « Big Bang » est-il un
univers parmi d’autres ?
Qu’est-ce qui fait la particularité de l’homme ?
Quelle est la part du hasard dans la matière, dans la vie
et dans l’homme ?
La matière est-elle divisible ou non divisible en parties
?
Le monde obéit-il à des lois ? Sont-elles mathématiques
?
Le monde est-il rationnel ? Et le rationnel est-il réel ?
L’esprit et le corps appartiennent–ils à deux
domaines différents ?
La matière, l’espace et le temps sont-ils naturels ou
produits de, nos sensations ?
Comment concilier les lois de la matière et le « libre
arbitre » ou la conscience humaine ?
Quelles relations entre matière et mouvement, entre matière
et vide ?
etc, etc ....
Ces questions posent des problèmes qui ne ressortent pas
seulement de l’observation ou de l’expérience et ces
derniers eux-mêmes nécessitent des conceptions nouvelles,
c’est-à-dire un travail de la pensée philosophique : les
concepts adoptés sont-ils les bons, quelle méthode pour
appréhender mieux le réel, etc ...
Notes:
[1]
« Loin de l’équilibre, on observe une très grande variété
de situations et une succession de bifurcations qui donnent
à la matière un aspect historique » souligne Ilya
Prigogine (dans « La complexité, vertiges et promesses »
de Réda Benkirane), qui remarque que ces situations « loin
de l’équilibre » sont surtout loin d’être des
exceptions.
[2]
D’abord le vide constitué de couples
particules/antiparticules fugitives puis quarks et gluons
puis électron, photons et neutrinos puis neutrons puis
protons puis l’hydrogène puis l’hélium puis les étoiles
et les galaxies puis les atomes légers puis les supernovae
et les atomes lourds puis les molécules, les macromolécules,
puis la vie. Chaque étape est un saut qualitatif représentant
une transition de phase.
[3]
L’ordre maximal semble le vide, niveau le plus bas d’énergie
et pourtant celui-ci s’avère parcouru de fluctuations désordonnées
d’énergie car il y a moins que l’énergie nulle : l’énergie
négative. Un autre ordre semble celui d’un gaz parvenu à
stabiliser sa température et sa pression dans un volume
fixe. Pourtant, on constate que, sans même d’apport extérieur
d’énergie, il est l’objet d’une agitation permanente
des molécules, appelée le mouvement brownien. Le désordre
moléculaire d’un liquide en ébullition suscite des
mouvements de convection et un ordre (cellules de Bénard).
Dans une surface d’eau d’une zone sans vent,
l’apparence ordonnée lisse et stable est le produit
d’un désordre constitué de molécules qui s’échappent
sans cesse de la surface et d’autres qui retombent de
l’air dans l’eau. L’ordre global du nuage (curiosité
de la nature dans laquelle des tonnes d’eau parviennent à
se maintenir en l’air), globalement stable, est issu
d’un mouvement permanent de molécules d’eau qui
chauffent, vaporisent, montent, refroidissent et retombent.
[4]
Si autrefois la principale transition de phase que l’on
connaissait était celle de états de l’eau, solide,
liquide, gazeux, aujourd’hui il en va tout autrement. On a
également dépassé le cas, simple, de l’aimantation
ferro-magnétique. Ce phénomène de discontinuité, rupture
de symétrie à un seuil à partir duquel un phénomène
collectif entraîne un changement qualitatif des propriétés
est bien plus général à la matière. A toutes les échelles,
nous connaissons des transitions de phase de la matière.
[5]
« Un aspect encore, qui a beaucoup intéressé les
physiciens, est le cas des transitions de phase, dites
transitions du deuxième ordre, dans lesquelles on ne peut
plus séparer les différentes échelles » déclare Bernard
Derrida (dans « La complexité, vertiges et promesses » de
Réda Benkirane) qui cite le cas d’un mélange liquide-gaz
dans une ampoule dont on augmente la température et qui, à
un seuil de température, présente le phénomène
d’opalescence critique.
[6]
Newton faisait appel à des forces mais il ne prétendait
pas savoir ce qu’elles étaient en fait. C’est son
fameux « je ne fais pas semblant de savoir. » Les
physiciens contemporains parlent plutôt d’interaction. En
électromagnétisme, la notion de force est remplacée par
l’échange de photons. Force à distance et relativité
sont incompatibles.
[7]
« Aucun système quantique, de la particule au champ,
n’est figé. Dans son état de plus grande immobilité réalisable
(...) une activité irréductible s’exprime par des
fluctuations spontanées et chaotiques du vide. » (Edgard
Gunzig dans « Le vide »)
[8]
« Le plus petit élément constitutif du réel n’est pas
une chose, c’est un rapport, une relation, une interaction
(le quantum d’action) » rappelle Cohen-Tannoudji dans «
L’horizon des particules ».
[9]
Déjà en 1961, Louis de Broglie notait dans « Introduction
à la nouvelle physique des particules » : « Il semble
bien, en effet, qu’on ne peut donner aucune définition
univoque du corpuscule élémentaire, et que, par suite, il
vaut sans doute mieux ne pas introduire cette expression en
Physique quantique. »
[10]
« Le problème de la structure du vide peut être considéré
comme le problème central de la physique d’aujourd’hui.
» déclare Daniel Parrochia (cité par D. Finkelstein dans
« théorie du vide »).
[11]
« Les fluctuations du vide apparaissent ici dans un nouveau
rôle, elles habillent la particule nue, comme si celle-ci
était entourée par un nuage de particules virtuelles lui
conférant les propriétés de masse et de charge que nous
mesurons expérimentalement. (...) Comme si l’électron
physique, expérimental, s’expliquait par le fait que le
mouvement de l’électron nu doit se frayer un chemin à
travers ce milieu soudain quasi matériel qu’est désormais
le vide. » (Edgard Gunzig et Isabelle Stengers dans « Le
vide »)
[12]
Chaque particule chargée (fermion) possède une
anti-particule identique sauf pour la charge électrique qui
est de signe opposé. Lors du choc entre particule et
anti-particule, les deux disparaissent pour se transformer
en rayonnement. Inversement, lors des chocs entre
particules, l’énergie du choc est transformée en couples
de particules/antiparticules qui disparaissent ensuite en se
transformant à nouveau en rayonnement.
[13]
Comme le dit Edgar Gunzig dans « le vide », « le vide
quantique pourrait-il se substituer à la raison mathématique.
» (Jusqu’ici la physique quantique n’a vu d’autre réalité
dans le monde que dans des équations et matrices.)
[14]
« L’analyse mathématique en termes de perturbation peut,
comme nous l’ont appris des diagrammes de Richard Feynman,
être transcrits sur un mode imagé. C’est alors
qu’interviennent les particules virtuelles qui assument la
transformation de modes de vibration d’un champ à
l’autre Une particule virtuelle a certes les mêmes propriétés
(charge électrique, spin, ...) qu’une particule réelle,
mais elle n’est pas contrainte par les relations
relativistes entre masse, impulsion et énergie qui définissent
l’existence physique d’une particule réelle. » (Edgard
Gunzig et Isabelle Stengers dans « Le vide »). Le
physicien quantique Jean-Marc Lévy-Leblond parle de «
dialectique du réel et du fictif » en affirmant dans «
Aux contraires » : « Il est convenu dans le jargon
professionnel courant d’y parler de quantons « virtuels
» opposés, bien entendu, aux quantons réels. Nous allons
être conduits à révoquer en doute cette opposition. »
[15]
« Une nouvelle approche de la théorie quantique a fait
l’objet de nombreux travaux récents et vise précisément
à produire un cadre dans lequel, sous des conditions
convenables, l’on peut assigner des probabilités à des
histoires. » (Chris Isham dans « Le vide »)
[16]
« Le vivant fonctionne loin de l’équilibre, dans un
domaine où les processus producteurs d’entropie, des
processus qui dissipent l’énergie, jouent un rôle
constructif, sont source d’ordre. » remarque Ilya
Prigogine dans « La nouvelle alliance ».
[17]
« La véritable signature du chaos (déterministe) est
l’attracteur étrange » rappelle le spécialiste des
rythmes chaotiques, Yves Pomeau, (dans « La complexité,
vertiges et promesses » de Réda Benkirane). L’attracteur
d’une transformation dynamique est l’ensemble des
positions et paramètres vers lequel un système peut
converger. Il est « étrange » lorsqu’il présente une
structure feuilletée dans laquelle on repasse régulièrement
tout près d’un point quelconque mais sans y repasser
exactement. Cela figure une propriété caractéristique du
chaos déterministe : la sensibilité aux conditions
initiales selon laquelle une petite variation initiale sera
amplifiée sur le long terme.
[18]
Walter Gehring faisait l’expérience (exposée dans « La
drosophile aux yeux rouges ») : inoculer un gène maître
d’œil de souris à une mouche drosophile. Le résultat était
la production d’un œil de drosophile. Cela prouvait que
le matériel génétique d’un mammifère fonctionne sur
une mouche ! François Jacob donne le fond de
l’explication : ne plus considérer chaque gène comme un
individu mais comme un élément d’une structure globale
des gènes et des protéines : « On voit les changements
apportés dans la manière de considérer l’évolution
biochimique. Tant que chaque gène, donc chaque protéine,
était regardé comme un objet unique, résultat d’une séquence
unique de nucléotides ou d’acides aminés, chacun d’eux
ne pouvait se former que par une création nouvelle, de
toute évidence hautement improbable. »
[19]
« C’est pour montrer que ces transitions d’une espèce
à une autre reflètent avec précision les œuvres de l’évolution
et qu’elles ne résultent en rien des lacunes des
collections de fossiles que nous avons développé, Niles
Eldredge et moi-même, la théorie de l’équilibre ponctué.
» Stephen Jay Gould dans « Aux racines du temps ».
[20]
« Pour Aristote, la nature est une activité adéquate à
une fin » dit Hegel dans sa Préface à « La phénoménologie
de l’esprit ». Eh oui, bien des gens croient encore que
les plumes, c’est pour voler, les jambes c’est pour
marcher et le cerveau c’est pour penser. Et on continue à
questionner le zèbre : les rayures c’est POUR quoi ? La réponse
de la science n’est pas de donner un but mais un
fonctionnement du vivant. Par exemple en disant que le zèbre
est un cheval noir, les bandes blanches correspondant à des
inhibitions de couleur, comme pour la ventre de la plupart
des animaux. « Aristote fut pendant longtemps responsable
d’une autre grave méprise. Il avait admis que l’état
de repos d’un corps – celui qu’il conserve
lorsqu’aucune influence ne s’exerce sur lui – est
l’arrêt. S’il bouge, c’est qu’il subit une force.
» rappelle Albert Jacquard dans « La légende de la vie ».
[21]
Newton dans « Principia » : « l’espace absolu, sans
relation avec les choses externes, demeure toujours
similaire et immobile. (...) Des particules solides,
compactes, dures et impénétrables » « Est sans doute définitivement
écartée l’idée que l’espace est physiquement vide »
et il rajoute que « le vide n’est ni homogène ni
isotrope » (Einstein dans « l’éther et la théorie de
la relativité ») et « Les corps empiriquement donnés ne
sont pas rigides » (Einstein dans Méthodes de la physique
: la théorie et l’expérience »)
[22]
Avec la découverte des quanta, quantité d’action élémentaire,
il n’est plus possible pour une particule ayant une énergie
non nulle d’avoir une durée de vie infinie car son action
(énergie multipliée par durée de vie) le serait également.
Malcolm H. Mac Gregor écrit ainsi : « aucune combinaison
de charges électriques et magnétiques n’est stable. »
(dans « L’électron énigmatique »). L’apparente
stabilité globale des particules chargées (fermions)
provient du fait qu’elles passent par des états
qu’elles parcourent successivement, en boucle.
[23]
« Dire qu’un corps est en mouvement – à la fois est et
n’est pas en un même instant dans un même lieu -,
c’est énoncer une contradiction formelle. L’éliminer
en soutenant que le corps en mouvement n’est en un même
instant qu’en un même lieu, c’est rendre le mouvement
impensable et par là tomber dans une contradiction réelle.
» écrit Lucien Sève dans « Science et dialectique de la
nature ».
[24]
« Nous voyons comment le caractère discontinu d’une
quantité, regardée jusqu’à présent comme continue,
peut être décelé grâce à la précision plus grande de
nos mesures. S’il fallait caractériser l’idée
principale de la théorie des quanta, nous dirions : il est
nécessaire de supposer que certaines quantités physiques,
regardées jusqu’à présent comme continues, sont composées
de quanta élémentaires » rapporte Einstein dans « L’évolution
des idées en physique ».
[25]
Quelques graves maladies comme le SRAS ont malheureusement
donné une certaine notoriété à l’idée que la barrière
des espèces peut être franchie. En fait, la barrière est
si peu une frontière que les gènes homéotiques
fonctionnent aussi bien sur l’homme que sur la levure du
boulanger !
[26]
Les cristaux liquides sont un exemple de dépassement de
frontière entre liquide et solide comme les prions entre
inerte et vivant, ou les états semi-ordonnés (ordonnés
dans une dimension pas dans les autres) traversent la frontière
entre ordre et désordre. Et ce n’est que des exemples
parmi tant d’autres.
[27]
« Les innombrables livres produits par les spécialistes du
vivant, les biologistes, tiennent pour évident la
classification de tous les objets en deux catégories : ceux
qui sont animés et ceux qui sont inertes (...) Mais ils se
gardent bien de préciser en quoi consiste la frontière
entre les deux catégories » dit Albert Jacquard dans « La
légende de la vie ». D’autres ont voulu préciser que la
caractéristique était de posséder au moins un ADN mais le
prion a démontré que ce type de définition est rapidement
pris en défaut.
[28]
Il faut absolument lire « la sculpture du vivant » du spécialiste
en immunologie Jean-Claude Ameisen
[29]
Systèmes dépendant de l’extérieur pour leur apport en
énergie. Par exemple, le vivant.
[30]
« On découvre à chaque instant des liens nouveaux entre
des objets qui semblaient devoir rester à jamais séparés
» remarquait déjà Poincaré dans « La science et
l’hypothèse ».
[31]
David Bohm explique ainsi dans « Observation et Interprétation
» : « Dans cette théorie, par conséquent, il n’y a pas
de particule qui garde toujours son identité (...) Le
mouvement est ainsi analysé en une série de recréations
et de destructions, dont le résultat total est le
changement continu de la particule dans l’espace. »
[32]
« L’arbre de l’évolution m’apparaît plus comme un
buisson touffu, aux ramifications complexes, que comme un
faisceau de rameaux parallèles qui se développeraient vers
le haut dans une direction définie. » écrit Stephen Jay
Gould dans « Quand les poules auront des dents ».
[33]
« Le vitalisme selon lequel les êtres vivants possèdent
une qualité intrinsèque qui les distingue des objets
inanimés, est mort » annonce John Maddox dans « Ce
qu’il reste à découvrir ».
[34]
Brian Goodwin : « Lorsque vous augmentez la diversité moléculaire
dans un système, la diversité des réactions qu’elle
peut engendrer augmente plus rapidement que la diversité
des espèces. On peut montrer mathématiquement qu’une
transition de phase survient lorsque la diversité moléculaire
augmente. Ce qui qualifie un phénomène émergent, c’est
une propriété collective qui n’est présente dans aucune
des molécules individuellement. » (dans « La complexité,
vertiges et promesses » de Réda Benkirane)
[35]
« La vie n’est pas une saga du progrès : elle est plutôt
une histoire de bifurcations et de méandres compliqués,
avec des survivants temporaires qui s’adaptent aux
transformations du milieu local et n’approchent guère de
la perfection » affirme Stephen Jay Gould dans « Quand les
poules auront des dents ».
[36] Ouvrage collectif présenté par Simon Diner et Edgard
Gunzig.
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